Avez-vous déjà eu l’impression que quelqu’un trichait en jouant au Monopoly? Imaginez maintenant une partie, mais au lieu d’argent fictif, ce sont de véritables écosystèmes et la biodiversité qui sont en jeu. La semaine dernière, Greenpeace Canada a publié une nouvelle enquête qui révèle l’existence d’un front industriel uni militant pour des politiques fédérales de compensation qui lui permettraient de payer pour polluer plutôt que d’adopter des mesures urgentes, notamment en matière de protection de la nature et de réduction des émissions.

Nos conclusions révèlent que les grandes entreprises forestières, minières, agroalimentaires et pétrolières misent fortement sur les politiques de « compensation » pour excuser leur pollution et continuer à faire comme si de rien n’était. Cela fait penser à une version tordue du Monopoly où les compensations constituent l’ultime carte de sortie de prison pour les destructeurs de la nature. Pour y remédier, nous avons besoin d’une nouvelle législation pour mettre en œuvre les engagements internationaux du Canada en matière de protection de la nature et d’une réglementation plus stricte pour les industries extractives responsables de la crise du climat et de la biodiversité.

En quoi consistent exactement ces compensations? Pourquoi sont-elles avantageuses pour les grands pollueurs?

Il existe deux types de compensations : les « compensations carbone » et les « compensations de la biodiversité »

Une « compensation carbone » désigne une quantité d’émissions de gaz à effet de serre qui est séquestrée, par exemple par la plantation d’arbres, afin de compenser les émissions qui se produisent ailleurs. Une « compensation de la biodiversité » désigne les améliorations apportées à la biodiversité dans un endroit, comme un habitat faunique, afin de compenser sa destruction dans un autre secteur. Cette pratique est souvent désignée par l’expression pay to slay (que l’on pourrait traduire par « payer pour détruire » dans ce contexte).

Greenpeace et d’autres organisations se montrent critiques à l’égard de ces systèmes de compensation. Les garanties de protection future de la nature sont souvent incertaines et le carbone prend beaucoup de temps à se stocker dans les arbres – alors qu’il est immédiatement libéré lorsqu’un combustible fossile est brûlé.

Le pire, c’est que ces compensations font de la nature une marchandise que les grandes entreprises peuvent exploiter pour le profit au lieu de nous permettre d’en faire l’expérience et d’avoir notre mot à dire à son sujet. Lorsque le gouvernement utilise des programmes de compensation, cela contribue à faire des écosystèmes une « propriété » que les entreprises extractives peuvent exploiter, commercialiser et rentabiliser.

Des documents témoignent du lobbying de l’industrie contre les mesures solides de protection de la nature

Des documents obtenus par Greenpeace Canada suite à une demande d’accès à l’information en 2023 montrent qu’un groupe clé d’entreprises forestières, minières et pétrolières a rencontré des représentant·es du gouvernement pour discuter de la mise en œuvre de l’engagement pris par le Canada en matière de protection de la nature dans le cadre de l’Accord de Kunming-Montréal.

Des représentant·es de l’industrie minière ont plaidé en faveur des compensations comme mécanisme de protection de la nature, appelant à des « incitations financières » pour les mesures que leurs entreprises pourraient prendre, y compris par le biais de compensations de la biodiversité et de « réserves d’habitat ». De même, l’industrie forestière, représentée par l’Association des produits forestiers du Canada, la multinationale opaque Paper Excellence et d’autres, a préconisé des « incitations » pour l’adoption de mesures visant à améliorer ou à atténuer les dommages causés aux écosystèmes. Ses représentant·es ont affirmé qu’il serait difficile d’atteindre l’un des principaux objectifs de l’Accord de Kunming-Montréal en matière de protection de la nature (30 % de toutes les terres protégées d’ici 2030) et que les entreprises d’exploitation forestière préféreraient contribuer à d’autres objectifs.

Une augmentation substantielle des activités de lobbying des adeptes des mesures compensatoires

Notre enquête révèle également que les adeptes des mesures compensatoires se livrent à un véritable blitz de lobbying auprès des principaux ministères fédéraux. D’après nos recherches, leurs activités de lobbying auprès de ces ministères ont augmenté de 222 % depuis l’élection du gouvernement Trudeau. De plus, au moins une membre du personnel d’ECCC a rencontré un vendeur de crédits carbone impliqué dans un accord qui a floué des communautés autochtones en Bolivie.

Quelle est donc la solution?

Les compensations ne sont que de la poudre aux yeux. Elles permettent aux entreprises bien nanties d’échapper à leurs responsabilités environnementales tout en continuant à émettre des gaz à effet de serre et à détruire le monde naturel.

Nos recherches montrent que les entreprises extractives sont remarquablement unies lorsqu’il s’agit de faire pression sur le gouvernement afin de transformer la nature en une marchandise qui servira leurs intérêts. C’est pourquoi nous réclamons un examen indépendant immédiat des programmes fédéraux de compensation afin d’évaluer de manière transparente leur utilité pour le public canadien, et non pour les grands pollueurs. En ce qui concerne la protection de la nature, le gouvernement doit écouter les Canadien·nes plutôt que les entreprises et les lobbyistes de l’industrie, et adopter enfin une nouvelle législation.

Les entreprises extractives essaient peut-être de jouer à une partie de Monopoly dans laquelle elles détiennent les cartes de sortie de prison, mais réécrivons les règles. Ensemble, nous pouvons faire en sorte que la nature ne soit pas réduite à une simple marchandise à exploiter, mais qu’elle devienne une ressource précieuse à protéger pour les générations à venir. Car en fin de compte, les personnes gagnantes ne sont pas celles qui accumulent le plus de richesses, mais celles qui préservent l’avenir de notre planète.

Dites au gouvernement canadien d’adopter une loi solide sur la protection de la nature

Le ministre de l’Environnement doit adopter une loi qui respecte les droits des peuples autochtones et préserve la biodiversité.

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