Nous profitons souvent de la Journée internationale des forêts avec une escapade en nature, mais cette année nous serons plusieurs à ne pas pouvoir le faire. C’est pour moi un étrange sentiment et cela peut nous faire ressentir encore plus profondément, l’importance de la connexion avec la forêt et la nature.  

Au cours des derniers mois, nous avons aussi vu plusieurs forêts du monde brûler et nous avons assisté au travail acharné de milliers de personnes pour les sauver et protéger la biodiversité. Notre conscience de la fragilité de ces régions s’est intensifiée. 

Colibri butinant dans la forêt (Xingu, Amazonie brésilienne).

Le travail des protecteurs·trices sur la ligne de front 

En cette Journée internationale des forêts 2020, il me semble plus important que jamais de souligner la lutte quotidienne de millions de gens et des centaines de peuples sur la planète qui protègent les forêts, en particulier les peuples autochtones. Ils sont aux premiers rangs pour défendre ce commun si indispensable, que ce soit en Amérique latine, en Indonésie, en Afrique, en Europe… en fait, partout sur la planète. Même ici, au Canada. Plusieurs se lèvent pour s’opposer aux coupes forestières, aux projets de développements dévastateurs extractifs et à la perte de biodiversité.

En Amazonie, les Gardien·nes de la forêt s’organisent !

En 2018, j’ai traversé la forêt amazonienne et constaté le courage des peuples autochtones: les véritables gardien·nes des dernières frontières de la forêt. Mon voyage m’a amené du Brésil à l’Équateur. Le premier territoire autochtone que j’ai visité, Alto Turiaçu au Brésil, est protégé par le peuple Ka’apor, qui a mis sur pied une organisation de Gardien·nes de la forêt. Toute leur communauté protège cette région riche en biodiversité, devant les ravages des entreprises forestières et agricoles qui grugent la forêt. Plusieurs membres de la communauté ont été formé·es et travaillent courageusement chaque jour à surveiller le territoire. En 2014, ils et elles ont fait une action spectaculaire qui a eu comme résultat l’arrestation de forestiers illégaux.

Un gardien de la forêt du territoire Alto Turiaçu au Brésil.

Les résultats de leur travail sont tellement impressionnants. Quelques jours plus tard, alors que je rencontrais l’anthropologue Manoel Ribeiro Ruth Moraes, de l’Université fédéral du Pará à Belem, celui-ci m’a montré une carte de cette région de l’Amazonie, qui vaut mille mots. La voici : 

Délimité en rouge au centre de la carte , on aperçoit le territoire Alto Turiaçu, seul espace de forêt conservé intact, courageusement préservé par les gardien·nes de la forêt Ka’apor. 

Manoel Ribeiro étudie la région depuis longtemps et m’a expliqué que les plus grands défenseurs de l’Amazonie sont les peuples autochtones. Mais il ajoute que pour que ces peuples puissent poursuivre ce travail de préservation, il est indispensable de reconnaître leurs droits territoriaux. Selon Manoel, c’est la survie de la forêt qui en dépend. Mais en ce moment plusieurs pays, en particulier le Brésil, ont démontré des reculs importants au niveau de cette reconnaissance. “C’est d’autant plus important que les gens à travers le monde soient conscientisés et demandent des comptes aux gouvernements que ce soit au Brésil ou ailleurs, pour valoriser les droits de ces peuples”, m’a expliqué Manoel. 

Les A’i Kofan de l’Équateur 

Trois mois plus tard, je rencontrais les A’i Kofan, un autre peuple autochtone à plus de 7000 km, à l’autre bout de l’Amazonie. Les A’i Kofan ont aussi mis sur pied une organisation de Gardien·ens de la forêt, au coeur de l’Amazonie équatorienne. Dans leur cas, ils s’organisent face aux industries minières qui pénètrent leurs territoires et grugent le lit des rivières avec de la grosse machinerie, afin d’en extraire des minéraux. 

Réunion du peuple A’i Kofan de Sinangoe, dans le but d’organiser une action de surveillance et de protection face aux activités minières sur leur territoire (Équateur).

Les bassins versants de la région sont contaminés par ces activités et par les nombreux intrants chimiques utilisés qui se déversent ensuite dans le grand bassin amazonien. La contamination par le mercure est très élevée parmi les habitant·es de la région. Plusieurs d’entre eux, dont les peuples A’i Kofan, avec les Siekopai, les Waroani et les Siona, ont formé une importante alliance pour protéger l’Amazonie équatorienne : la Alianza Ceibo, du nom de l’arbre le plus haut de la région (ceibo en espagnol et samauma en portugais).

Il est d’autant plus important de souligner le courage des gardien·nes de la forêt, car plusieurs y perdent la vie. Encore au Brésil on a répertorié 48 assassinats en moins de 20 ans de membres dans la seule communauté autochtone Guajajara, le taux le plus élevé de la région. Vous avez peut-être entendu parler de Paulino Guajajara, qui a donné sa vie pour la forêt.  À 26 ans, il est devenu le cinquième Gardien de la forêt assassiné en trois ans dans sa communauté de l’état du Maranhao, au nord-est du Brésil. Les chiffres sont alarmants. 

Ici aussi nos forêts sont menacés

Nos forêts du Canada et du Québec aussi sont menacées et la biodiversité est grandement affectée. Nous pouvons penser à toute la lutte pour la protection du territoire du peuple Wet’suwet’en. Plus près de chez-nous les peuples autochtones ces dernières années nous ont aussi fait prendre conscience de l’ampleur du problème touchant les caribous de plusieurs régions du Québec. La harde de Val D’or ne compte plus que 7 individus ! Bien que les membres de la communauté autochtone de Lac Simon alertent les autorités depuis des années, les réelles solutions de protection de la harde et de son habitat n’ont pas été mises en place. 

J’ai hâte de me promener à nouveau le coeur léger dans la forêt et aujourd’hui je pense à ceux et celles qui luttent au front pour la préserver partout sur la planète. Pour tenir tête aux multiples crises qui nous entourent, nous devons suivre l’exemple des défenseurs·euses des forêts. C’est la biodiversité qui nous entoure qui nous permettra de construire ensemble un avenir sain et durable, pour les générations à venir. 

Singe capucin de l’Amazonie (Parc Yasuni, Équateur).

Crédits photo : Marie-Josée Béliveau