La liberté académique est essentielle au développement de nouvelles connaissances et idées. Pour réaliser des travaux novateurs et inventifs, les chercheur·ses doivent être en mesure de poser des questions, d’émettre des hypothèses et de partager leurs résultats ouvertement. L’innovation et l’invention n’ont jamais été aussi importantes qu’aujourd’hui, en pleine crise climatique, alors que nous faisons face à une vague de phénomènes météorologiques d’une ampleur inégalée.

C’est pourquoi il est terrifiant de penser que les entreprises de combustibles fossiles influencent la recherche universitaire sur l’efficacité énergétique et l’atténuation des changements climatiques, et qu’elles détournent les esprits les plus brillants vers la recherche cherchant à accroître l’extraction de pétrole et de gaz à un moment où la science nous dit que nous devons nous éloigner rapidement des combustibles fossiles. Mais, comme le nouveau rapport que j’ai écrit pour Greenpeace Canada le démontre, c’est exactement la situation dans laquelle nous nous trouvons.

Les entreprises pétrolières et gazières octroient des millions de dollars en subventions, chaires et autres investissements aux universités publiques. Une grande partie de cet argent est complétée par un financement gouvernemental pour des projets qui servent des intérêts privés. Nous ne devrions pas investir de l’argent ou de l’énergie dans des partenariats avec le secteur des combustibles fossiles pour trouver des solutions climatiques, car l’industrie n’en cherche pas.

Par exemple, parmi les six entreprises qui forment l’Alliance nouvelles voies – un consortium collectivement responsable de 95 % de la production de sables bitumineux au Canada – cinq d’entre elles (Canadian Natural Resources, Cenovus, ConocoPhillips, Imperial Oil et Suncor) ont fait de nombreux investissements dans la recherche universitaire, notamment dans les chaires de recherche industrielle du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie (CRSNG), dont l’influence est considérable.

Faisons-nous confiance à ces entreprises pour mener des recherches sur de véritables solutions d’énergie carboneutres? Voulons-nous qu’elles financent des recherches susceptibles d’influencer la politique énergétique? Vérifions les faits. Rien que l’année dernière, Cenovus a demandé à augmenter la production de la plus grande mine in situ au monde et à l’exploiter jusqu’en 2079.

Imperial Oil – une filiale d’Exxon – s’est fait prendre après avoir sciemment laissé la mine de Kearl déverser des toxines dans l’eau pendant des années avant de le signaler. 

Non seulement le PDG de Suncor a affirmé qu’il n’a que faire de la transition des combustibles fossiles vers les énergies renouvelables, mais en 2022, l’entreprise a vendu ses actifs solaires et éoliens et a acheté une participation de 100 % dans une mine de sables bitumineux.

La récente nomination quinquennale de Martha Hall Findlay, ex-cadre de Suncor, au poste de directrice de l’École de politique publique de l’Université de Calgary est un autre exemple de l’impact du financement universitaire de l’industrie des combustibles fossiles sur le Québec et le reste du Canada.

L’Université de Calgary se présente comme la principale école de politique au Canada, ce qui signifie que cette nomination aura des implications politiques significatives. Avant de rejoindre Suncor, Hall Findlay était présidente et PDG de la Canada West Foundation, un groupe de réflexion basé à Calgary qui, selon le Corporate Mapping Project, est un « partisan indéfectible de l’industrie canadienne des combustibles fossiles ».

Le fait que des décisionnaires en matière de politique climatique fédérale pourraient étudier dans un département universitaire dont la direction a une affinité manifeste pour les combustibles fossiles, le principal moteur des changements climatiques mondial, nuirait à la prise de décisions relatives au climat au Québec et dans tout le pays.

Même lorsque la recherche financée par l’industrie est ostensiblement à la recherche de solutions climatiques, les entreprises pétrolières et gazières ont un intérêt direct dans les technologies qui maintiennent le statu quo fossile. Par exemple, un nombre important d’entreprises de combustibles fossiles cherchent à atteindre la carboneutralité en misant sur le captage et le stockage de carbone (CSC), une technologie dispendieuse qui n’a pas encore réussi à réduire les émissions de carbone à grande échelle.

Pourtant, cette solution est prisée par l’industrie parce qu’elle permet aux entreprises pétrolières et gazières de poursuivre leurs activités habituelles – et que la majeure partie des coûts engendrés serait assumée par les contribuables

L’Université de l’Alberta est l’institution qui reçoit le plus de fonds du CRSNG liés aux combustibles fossiles. Son principal programme de recherche, Future Energy Systems, compte plus d’études actives sur le CSC que sur le solaire, l’éolien et la géothermie. Et ce, malgré son mandat qui est d’« aider le Canada à opérer sa transition vers une économie bas carbone ». 

En cette période record de phénomènes météorologiques extrêmes, les plus grands esprits doivent pouvoir se concentrer sur l’atténuation des effets des changements climatiques et les adaptations sociétales. Permettre aux entreprises pétrolières et gazières d’influencer l’orientation ou la portée de la recherche risque d’entraver l’innovation en matière de solutions climatiques et de retarder de manière catastrophique la transition énergétique.

L’industrie des combustibles fossiles a largement démontré qu’elle n’agissait pas dans l’intérêt public. Nous devons mettre fin à leur financement de la recherche sur les politiques énergétiques et climatiques et cesser de permettre à l’industrie la plus responsable de la crise climatique de participer aux discussions sur les solutions à apporter. 

Aidez-nous à dénoncer ces entreprises et à leur demander des comptes en exigeant une taxe sur les superprofits des pétrolières. 


Nola Poirier est chercheuse et rédactrice principale chez Greenpeace Canada et auteure d’un nouveau rapport intitulé Un mécénat qui interroge : Quand l’industrie des combustibles fossiles finance la recherche universitaire. Elle est titulaire d’une maîtrise en études environnementales et en beaux-arts et travaille comme chercheuse d’enquête et rédactrice depuis plus de dix ans.