Les cabinets juridiques à travers le pays s’enrichissent et touchent des milliards de dollars en aidant l’industrie des combustibles fossiles à alimenter les changements climatiques.

Les gaz à effet de serre (GES) sont le principal facteur des changements climatiques, et les entreprises pétrolières et gazières sont à l’origine de 75 % des émissions mondiales de GES. Alors que les changements climatiques entraînent une augmentation de la fréquence et de l’intensité des phénomènes météorologiques au Canada, tels que les incendies, les inondations et les vagues de chaleur, un nouveau rapport réalisé par la University of Toronto Law Union (UTLU) et le groupe Law Students for Climate Accountability (LSCA) révèle comment les cabinets juridiques s’enrichissent en permettant aux entreprises pétrolières et gazières de continuer à émettre des GES. 

Les avocates et avocats sont souvent appelés à faire le sale boulot de l’industrie : agir en tant que lobbyistes, gérer les contestations juridiques, élaborer des stratégies de relations publiques et réprimer toute opposition en intentant des poursuites-bâillons ou des injonctions contre les défenseur·ses du climat, y compris les peuples autochtones qui défendent leurs droits fonciers. 

Le rapport analyse les transactions et les litiges relatifs au secteur énergétique impliquant cinq cabinets juridiques canadiens : Torys LLP, Fasken, McCarthy Tétrault LLP, Miller Thomson LLP et Osler, Hoskin & Harcourt LLP. D’après les données qui y figurent, les transactions énergétiques réalisées par ces cinq firmes entre 2008 et février 2023 totalisent 500 milliards de dollars. Cet argent a été gagné en facilitant la production des émissions de carbone et de méthane qui alimentent les phénomènes météorologiques extrêmes au Canada et dans le monde entier.

Si certains cabinets tentent de réorienter leurs activités vers les énergies renouvelables ou de se distancerdes cas plus litigieux des pétrolières et gazières, l’écart entre les affaires liées aux combustibles fossiles et celles liées aux énergies renouvelables qu’ils prennent en charge est un indicateur qui permet de déterminer la sincérité de leur engagement. À titre d’exemple, la firme Fasken affiche, sur son site Web, une page consacrée à son engagement envers la réconciliation. Or, elle a représenté Coastal GasLink Pipeline Ltd. dans diverses procédures, notamment contre la chef Wet’suwet’en Howilhkat – récipiendaire du Right Livelihood Award et aussi connue sous le nom de Freda Huson –, et d’autres dans le cadre d’une injonction contre un blocus visant à empêcher la destruction de leur territoire par le gazoduc. Fasken défend également Coastal GasLink (CGL) dans le cadre d’une poursuite civile intentée par la chef Sleydo’ et d’autres défenseur·ses des terres Gidimt’en pour une série de motifs, notamment l’intimidation, la nuisance et l’infliction intentionnelle de détresse mentale. De même, Osler, Hoskin & Harcourt LLP, un cabinet qui prétend adhérer aux principes ESG, a représenté Trans Mountain Pipeline ULC dans de nombreux aspects de leurs litiges, y compris des dépôts d’injonctions contre des activistes climatiques à Burnaby qui luttent contre l’expansion du gazoduc Trans Mountain sur le territoire non cédé des Secwépemc.

Malheureusement, ce problème ne concerne pas que le Canada. Les cabinets juridiques aux États-Unis, au Royaume-Uni et ailleurs facilitent également les activités des entreprises pétrolières et gazières qui exacerbent la crise climatique. L’année dernière, le groupe LSCA a publié une fiche de performance classant les principaux cabinets juridiques des États-Unis en fonction de la quantité de travail effectuée pour l’industrie des combustibles fossiles sur une période de cinq ans. Un rapport britannique de 2023, également publié avec le soutien du groupe LSCA, a levé le voile sur le travail effectué par le secteur juridique du Royaume-Uni pour le compte d’entreprises fossiles. Les deux listes comptaient de nombreux cabinets qui opèrent également au Canada, dont beaucoup ont reçu une mauvaise note. 

Face au défi collectif que représente la lutte contre les changements climatiques, des spécialistes d’autres secteurs ont commencé à reconnaître leur obligation morale. Par exemple, le groupe Clean Creatives, un collectif de plus de 600 agences de relations publiques et de publicité, s’est engagé à ne pas travailler avec des acteurs de l’industrie des combustibles fossiles. Au sein de la profession juridique, des groupes tels que l’association canadienne Lawyers for Climate Justice ont fait valoir que la promotion de la justice climatique est une extension naturelle du serment prêté par les avocat·es, qui consiste à faire respecter l’État de droit et les droits et libertés de toutes les personnes. Selon eux, la profession juridique – qui regroupe des individus, des cabinets, des associations et des organismes de réglementation – a l’obligation éthique d’examiner le rôle qu’elle devrait jouer dans la réponse à la crise climatique.

Les cabinets juridiques réalisent d’importants profits à court terme en travaillant avec les entreprises pétrolières et gazières, mais il en résulte des dommages permanents pour l’environnement et l’économie. L’atténuation des effets des changements climatiques nécessite un engagement envers la justice climatique de la part de toutes les professions, et les cabinets juridiques sont particulièrement bien placés pour faire la différence. Si ces cabinets agissaient et cessaient de prendre pour clients des entreprises ayant des liens avec l’industrie des combustibles fossiles, ces dernières seraient contraintes de revoir leurs pratiques, ce qui entraînerait un changement presque immédiat.