Nous allons parler ici de capture réglementaire, un terme administratif qui décrit une situation dans laquelle une institution publique de régulation, bien que destinée à agir en faveur de la collectivité, finit par servir des intérêts commerciaux et/ou privés. C’est une sorte de corruption. Et c’est exactement ce qui se passe dans les sables bitumineux. 

En février, des résidus toxiques issus des sables bitumineux se sont échappés de la mine Kearl de l’Impériale, contaminant les bassins versants où plusieurs communautés autochtones vivent. Quelques mois plus tard, des représentant·es de ces communautés sont allé·es à Ottawa pour témoigner devant une commission parlementaire des impacts de ce désastre et iels ont exprimé avec éloquence leur frustration face à ce qu’iels ont appelé la «capture réglementaire»:

«L’une des leçons les plus claires de cette crise est qu’elle a reconfirmé que l’AER [l’Alberta Energy Regulatory] est un organisme coopté qui n’est tout simplement pas un partenaire de confiance pour protéger les intérêts fédéraux dans notre communauté. Vivant dans une communauté autochtone dans les sables bitumineux et en aval de ceux-ci, je peux vous dire qu’il est affligeant que l’Alberta ait fait si peu pour gérer la croissance et l’ampleur croissantes de ces énormes bassins toxiques qui s’infiltrent dans notre environnement naturel et nos bassins versants. Cela représente un risque pour notre mode de vie, pour les écosystèmes d’importance nationale et pour le bien-être des Canadien·es».

– Chef Billy Joe Tuccaro (Première Nation crie de Mikisew)

Qu’est-ce que la capture réglementaire ? 

Comme mentionné plus haut il y a capture réglementaire lorsque l’agence gouvernementale censée protéger l’intérêt public en vient à protéger l’industrie plutôt que les communautés.

L’Impériale veut nous faire croire que ce qui est dans son intérêt est aussi bon pour l’Alberta, même si cela signifie ne pas informer les communautés qui habitent en aval des sables bitumineux, lorsque des fuites de lacs toxiques ont lieu.

La fréquence de ce phénomène surprendra probablement de nombreuses et nombreux Canadien·es qui attendent (à juste titre) de leur gouvernement qu’il place leurs intérêts au-dessus de ceux des entreprises et des grandes institutions financières. Cela est d’autant plus important que nous sommes confronté·es à une crise climatique mondiale urgente.

Comment un gouvernement vient à privilégier les intérêts des industries fossiles plutôt que des communautés

Il existe de nombreuses façons pour l’industrie de prendre le contrôle d’un organisme public. 

  1. Une entreprise peut menacer de s’installer ailleurs si elle n’obtient pas ce qu’elle veut, emportant avec elle les emplois et les impôts des contribuables (même si le pétrole lui, ne va nulle part). 
  1. L’industrie fossile peut mettre en place une plaque tournante lucrative entre elle-même, le gouvernement et l’autorité de régulation Il se crée alors un réseau d’influence de personnes qui se connaissent et pensent de la même manière. Par exemple, le premier Président de l’Alberta Energy Regulator était un cadre de longue date dans l’industrie pétrolière et président fondateur du lobby le plus puissant de l’industrie. 
  2. Elle peut financer des campagnes politiques et faire pression sur les politicien·nes pour obtenir un assouplissement des règles. Elle peut aussi essayer d’obtenir des clauses dans les accords commerciaux qui permettent aux entreprises de poursuivre les gouvernements pour pertes de profits si le régulateur prend la protection de l’environnement réellement au sérieux. 

Il est important de noter que si ces entreprises ont beaucoup de pouvoir, celui-ci n’est pas absolu. Les gouvernements ont toujours la possibilité de mettre en place des mesures susceptibles de renforcer leur position de négociation face aux grandes entreprises.

C’est là que les choses commencent à se gâter.

Chaque gouvernement dispose d’agences chargées de réglementer les entreprises et de protéger l’intérêt public. Ces organismes varient d’une province à l’autre et sont chargés de surveiller les sociétés d’énergies fossiles. Pourtant, c’est souvent l’inverse qui se produit. Ces régulateurs finissent par devenir les porte-parole de ces entreprises au sein du gouvernement. C’est un exemple concret de ce que l’on appelle la «capture réglementaire».

«Il n’y a pas de confiance auprès du régulateur. Nous avons dit, comme de nombreuses autres communautés, que ce régulateur devient captif [des intérêts de l’industrie] .»

– Margaret Luker (Directrice du Développement Durable, Nation Métis de Fort McKay)

Au cours de la première journée de témoignages à Ottawa face à la commission parlementaire penchée sur cette affaire , les leaders autochtones ont expliqué que la capture réglementaire montre que les agences concernées ne défendent pas les communautés, mais les intérêts des entreprises.

“Ce problème, comme on l’a dit, est un problème systémique. Il ne s’agit pas de simplement demander: “Comment allez-vous améliorer votre protocole de communication parce que vous auriez dû communiquer plus tôt ?” Il s’agit d’un problème systématique qui couvre toute une série de sujets, comme la manière dont les études d’impact sont menées, la manière dont l’obligation de consultation est exécutée et celle dont les responsabilités sont gérées dans le secteur de l’énergie, où l’on observe une capture réglementaire chronique et systématique. C’est le terme utilisé, mais c’est dans le sens où l ‘autorité de régulation oriente constamment la conversation vers les intérêts des parties réglementées plutôt que vers ceux du public. La vraie question que nous devons nous poser ici est de savoir ce qui peut être fait pour changer cette situation en Alberta, car il s’agit d’un problème chronique et d’une des questions sous-jacentes que nous devons aborder. Il ne s’agit pas seulement de changer le protocole de communication de l’Alberta ou de l’AER. Il s’agit de savoir comment construire un régulateur qui soit réellement indépendant de l’industrie qu’il réglemente et qui soit capable de défendre l’intérêt collectif et de conserver la confiance du public.”

– Timothy Clark (Directeur, Willow Springs Strategic Solutions, Fort McMurray Métis Local 1935)

Cette culture de la capture réglementaire est sans aucun doute un obstacle majeur à l’action climatique et à la protection de l’environnement au Canada. Elle fait en sorte que la création et la mise en œuvre de politiques efficaces soient refusées ou retardées. Les citoyen·es se retrouvent ainsi confronté·es aux mêmes problèmes non-résolus pendant des années. Le racisme environnemental de la fuite de la mine de L’Impériale démontre la façon dont la capture réglementaire continue de se répandre au sein des différentes branches du système gouvernemental.

Dans la prochaine édition de la série de blogs Énergie Fossile: Questions Brûlantes, nous examinerons ce que les Canadien·es peuvent faire pour résoudre le problème de la capture réglementaire.

D’ici là, continuons à lutter contre le pouvoir de l’industrie des énergies fossiles.