Il y a déjà plus de 20 ans que le documentaire choc L’Erreur Boréale a été rendu public, bousculant le monde québécois tout en brassant les cages des décideurs et grandes forestières au passage. 

Il fût l’élément déclencheur d’une série de réflexions et de révisions au sujet de notre relation avec la forêt boréale, pour aboutir au minimum vers un nouveau régime forestier. La question qui se pose toutefois est si nous avons bien écouté la mise en garde et les recommandations qui s’en sont suivies, avons-nous évolué depuis ? 

Plus important encore, où en sommes-nous aujourd’hui ? Comment se porte la forêt boréale québécoise ? Il y a à peine 5 mois, les décideurs du monde ont signé à Montréal (durant la COP15) un accord historique pour renverser la crise écologique, soit la perte de biodiversité et de nos écosystèmes. Mais à quel point les paroles sont passées à l’acte ces dernières années – il est temps de prendre le pouls.  

Un historique d’échecs en matière d’objectifs de biodiversité?

boreal forest
Forêt boréale près de Val d’Or.

Depuis 1992, année où le Québec a adhéré à la CDB par décret, la province a continuellement failli à ses engagements internationaux en matière de biodiversité. Depuis 2010, le Québec a à peine augmenté de 2,5 % le nombre d’aires protégées à l’échelle provinciale. 

En 2016, dans un rare commentaire du Secrétaire exécutif de la Convention sur la diversité biologique, M. Dias a incité le Québec à aller plus loin en déclarant : « Le Québec possède une biodiversité unique, y compris certains des derniers bassins hydrographiques et des forêts intactes de la planète. L’atteinte des objectifs d’Aichi est une étape essentielle pour préserver ce patrimoine pour les générations à venir. » 

Plusieurs mois avant l’échéance de 2020, la province était encore loin de ses objectifs, jusqu’à ce qu’elle déclare, à la mi-décembre, avoir atteint les objectifs d’Aichi pour la biodiversité. À la surprise générale, le Québec est passé de 10,7 % à 17 % d’aires protégées terrestres et de 1,3 % à 10,4 % d’aires protégées marines, ce qui représente un véritable exploit. Mais tout est dans les détails… Malheureusement, le Québec n’a pas compris en quoi consistait sa mission. 

Non seulement le Québec n’a pas atteint 17 % d’aires protégées (la superficie du territoire québécois bénéficiant d’une protection se chiffre plutôt à 16,7 %), comme on l’a découvert plus tard en consultant le Registre des aires protégées, mais il n’a pas respecté la science, les objectifs de la Convention sur la Diversité Biologique et les lignes directrices en concentrant une grande partie des aires protégées dans quelques régions. Le véritable objectif est de préserver la biodiversité partout au Québec. 

Avec seulement 9 % des aires protégées dans la partie la plus au sud et la plus peuplée de la province (en dessous du 49e parallèle), on ne peut pas dire que ces aires soient réellement représentatives des différents écosystèmes. 

La protection doit englober les zones critiques de la biodiversité, tenir compte du rétablissement des espèces menacées et être équitable en termes d’accès pour les personnes et la faune. Malheureusement, la connectivité entre les zones protégées – parfois désignée sous l’appellation de « corridor vert » – fait également défaut. 

Le fiasco des aires protégées dans le sud du Québec

À minuit moins une Québec s’est dépêché pour atteindre son objectif 2020 en matière d’aires protégées, mais cela aurait pu être facilement évité. Dans le sud du Québec, 83 projets de conservation approuvés par les communautés locales dans le cadre d’un processus multipartite attendent l’approbation du gouvernement depuis plus de dix ans. 

Au grand étonnement et à l’indignation de beaucoup, tous les projets ont été exclus des 17 % d’aires protégées annoncés en 2020. Les zones sélectionnées étaient situées plus au nord, au-delà des secteurs d’exploitation forestière et à l’écart des zones fortement peuplées. 

La protection dans le Nord en territoire cri est très importante et mérite d’être célébrée, mais le Québec aurait pu facilement aller au-delà de l’objectif de 17 %… Pourquoi ne l’a-t-il pas fait? La réponse était évidente : là où l’industrie forestière a des intérêts, les projets d’aires protégées sont systématiquement bloqués. 

À l’automne 2020, des groupes citoyens et environnementalistes, dont Greenpeace, ont dénoncé une volonté manifeste du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec de freiner les efforts de conservation. Un document interne du ministère datant de 2018 dévoile une stratégie visant à limiter la création d’aires protégées dans 11 régions administratives de la province. 

Malgré une étude approfondie faisant état des nombreux avantages de la protection des forêts pour la région et la confiance publique, les propositions de conservation telles que celle du mont Kaaikop ont été rejetées par le gouvernement. 

Le Québec a récemment modifié la définition de zone protégée, ce qui a ouvert le terrain à une exploitation forestière accrue. Mais permettre les coupes forestières dans les zones protégées n’a rien de nouveau. Ces dernières années, la ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) (aujourd’hui le Ministère des Ressources naturelles et des Forêts) a également appelé à l’intensification de l’exploitation des forêts anciennes en raison des changements climatiques et des projets de son ministère visant à doubler la production de bois au cours des 60 prochaines années. 

Il est clair que les intérêts privés ont beaucoup de pouvoir auprès du gouvernement québécois, ce qui nuit à la santé des gens et à l’environnement.

La situation du caribou : une crise emblématique

caribou
Le caribou, un type de renne, est considéré comme une espèce menacée en raison de la perte d’habitat et de l’impact des routes, de l’exploitation forestière, de l’exploitation minière et d’autres perturbations industrielles. Une sous-espèce, le caribou des bois, s’étend sur la forêt boréale, bien qu’avant les perturbations industrielles, son aire de répartition était presque le double et s’étendait au sud de la frontière américaine, où l’on n’en trouve plus que très peu aujourd’hui. Leur principale source de nourriture est le lichen que l’on trouve dans les forêts matures. Ils sont chassés par des carnivores tels que les loups et les ours bruns.

Le caribou forestier symbolise les menaces qui pèsent sur la faune au Québec : le manque de volonté politique de s’attaquer à la crise de la biodiversité et les pratiques destructrices de l’industrie forestière. En tant qu’espèce parapluie, le caribou est un baromètre de la santé de la forêt boréale. 

Une génération de caribous s’est écoulée depuis que le Québec l’a ajouté à sa liste d’espèces en péril en 2005. Depuis, les populations de caribous forestiers du pays ont connu un déclin de 30 % et les scientifiques s’attendent à un taux de déclin similaire dans les prochaines années si l’on agit pas vite. 

La plupart des hardes connaissent une importante dégradation de leurs habitats de forêt boréale ancienne. Or, là où il y a moins de 35 % de perturbations, les caribous ont 60 % de chances de survie. Les gouvernements travaillent vers cette cible qui est le stricte minimum. Aucune marge de manœuvre ni d’ambition pour assurer un meilleur taux de survie. 

De plus, Québec n’a toujours pas présenté de programme de rétablissement. En fait, il a déjà reporté sa publication à deux reprises. Le lobby de l’industrie forestière utilise toutes les tactiques de l’industrie du tabac pour continuer les coupes. Par conséquent, le gouvernement du Québec a déclaré que le rétablissement des caribous était une entreprise trop coûteuse. Il est allé jusqu’à proposer de placer des caribous sauvages dans un zoo (dans le cas de la harde de Val-d’Or), a autorisé des permis d’exploitation forestière dans des zones protégées et a commandé d’innombrables rapports et consultations sans adopter de mesures concrètes. 

Au printemps 2022, le gouvernement fédéral a menacé le Québec d’imposer des mesures de protection au moyen d’un décret d’urgence s’il ne pouvait démontrer qu’il s’efforce de favoriser le rétablissement du caribou. Les deux gouvernements semblent avoir trouvé un terrain d’entente pour aller de l’avant. 

Mais comme l’a conclu la dernière commission québécoise sur le caribou, aucune harde ne doit être abandonnée (comme le propose l’un des scénarios) et des mesures concrètes doivent être prises dès maintenant en collaboration avec les peuples autochtones

Le manque d’inclusion des peuples autochtones dans la gestion forestière

Adrienne Jérôme in Canada
Adrienne Jérôme, member of the Lac Simon Anishnabe community in Val-d’Or, northern Quebec. The forest plays a vital role in the lives of many Indigenous Peoples who rely on its wildlife for their culture and traditions. Yet the way of life for the Lac Simon Anishnabe community in Val-d’Or, is being jeopardized because caribou here are disappearing from their landscape.

Le gouvernement peine continuellement à consulter les Premières Nations touchées, ce qui témoigne du racisme systémique qui sévit au sein du gouvernement du Québec, de ses politiques et de ses programmes. 

Un exemple flagrant est celui du ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs, qui fait des communautés autochtones et de leurs droits de chasse des boucs émissaires pour justifier les échecs de son ministère en lien à la crise du caribou. La dernière commission sur le caribou a été décrite par l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador comme « …un stratagème qui légitime l’inaction du gouvernement du Québec en matière de protection et de restauration du caribou et de son habitat », tout en déplorant son manque de consultation avec les Premières Nations et la négation de leur expertise. 

La Première Nation de Lac Simon, qui propose en vain depuis 30 ans des mesures de conservation pour le troupeau de caribous de Val d’Or, a lancé une pétition avec Greenpeace pour demander un moratoire sur l’exploitation forestière. De leur côté, les Premières Nations innu d’Essipit et de Mashteuiatsh ont décidé de poursuivre le Québec en justice en raison de l’absence de consultation sur le caribou, ce qui est considéré comme une atteinte à leurs droits. 

La voie à suivre : l’intendance des Premières Nations dans la forêt boréale

La biodiversité est essentielle à la santé des écosystèmes et à la résilience communautaire. Si nous voulons continuer à tirer profit de la nature au Québec et au Canada, nous devons agir rapidement pour assurer la sauvegarde des espèces en voie de disparition.

Le Québec doit donner l’exemple, en commençant par tenir des dialogues de nation à nation et en respectant et en privilégiant les droits et le leadership des peuples autochtones en matière de conservation.