Deuxième et dernier volet d’une série d’entretiens en deux parties.

Dans le premier volet de notre enquête, nous nous sommes entretenus avec les propriétaires de trois magasins de vente en vrac. Nous y avons abordé leurs motivations et aspirations et leur impact à l’échelle locale. (C’est à lire ici !)

Dans ce deuxième volet, nous nous sommes intéressés à trois petites entreprises qui mettent de l’avant des solutions zéro déchet destinées aux entreprises. Leurs histoires montrent que la transition vers une ère post-jetable est possible dans des secteurs qui pourraient sembler improbables, mais à une condition, celle d’avoir le soutien du public, de l’industrie et des différents paliers de gouvernements.

Voilà ce que les propriétaires nous ont répété à maintes reprises lors de nos entretiens. La voie du zéro déchet existe, mais il y a encore du travail à faire et des changements systémiques à mettre en œuvre pour ouvrir la voie.

Découvrez les profils de ces entrepreneur·es et, si leurs témoignages vous inspirent, dites au ministre Guilbeault de soutenir ces modèles axés sur la réutilisation, le vrac et la consigne afin d’encourager un véritable changement à travers le Canada.

Annette Kim, Nomad Cafe, North Vancouver

Nomad Cafe, situé au cœur du quartier résidentiel Mosquito Creek de North Vancouver, est le premier café de la ville à ne pas offrir de gobelets à usage unique. Bénéficiant d’une station de rinçage au comptoir, la clientèle peut apporter sa propre tasse, en acheter une sur place, ou bien obtenir sa boisson dans un contenant consigné moyennant une caution de 2 $ . Nous avons parlé à la propriétaire, Annette, pour en savoir plus sur son café zéro déchet.

Vous êtes le premier café de Vancouver Nord à ne pas offrir de tasses à usage unique. Parlez-nous un peu de votre décision.

J’ai travaillé dans deux cafés différents avant d’ouvrir Nomad. J’ai d’abord travaillé au café Bean Around the World de l’hôpital général de Vancouver, puis chez Bean on 5th. Mais Nomad est mon premier café.

Il était difficile de recycler les gobelets à usage unique, car l’intérieur est recouvert de plastique. Lors de mes deux précédentes expériences de travail, j’ai remarqué que 300 à 400 gobelets allaient à la poubelle chaque jour. Je me suis demandé comment remédier à cette situation. 

Et puis, durant la pandémie, je suis devenue grand-mère. En six mois, mon petit-fils n’a vu que sa mère, son père et moi. Et j’ai eu le temps de réfléchir. Notamment au fait que si j’ai quitté la Corée il y a 15 ou 20 ans pour m’installer ici, c’est parce que j’aime ce beau pays, et j’aimerais que mon petit-fils puisse avoir les mêmes expériences et profiter de la même nature magnifique, comme ce fut mon cas. Alors j’ai pensé que, peut-être, je pouvais jouer un petit rôle pour amener des changements. J’ai donc ouvert ce café. Cela a pris une année entière à cause de la pandémie, mais je l’ai fait.

Quelle a été la réaction de votre clientèle et de votre communauté?

Beaucoup apprécient l’initiative. La réaction a été très positive. Nomad est une toute petite entreprise, mais l’impact est déjà plus grand qu’escompté. Tout le voisinage connait le café. [Nomad est situé au rez-de-chaussée d’un immeuble résidentiel]. Il y a une école primaire à deux rues de là et les jeunes enfants qui fréquentent l’endroit apprécient les gobelets réutilisables que nous avons. Plusieurs nous ont même dit que cela allait devenir leur nouvelle habitude. Cela représente donc un petit changement dans mon quartier. Et nous n’avons ouvert qu’il y a deux mois ! Je crois fermement que lorsque vous investissez dans la communauté, la communauté vous le rend au centuple.

Philip Rossignol, Rethink BioClean, Regina

Rethink BioClean propose des produits de nettoyage à la recharge aux restaurants, aux hôtels et aux maisons de retraite. Fondé par le couple Dawn et Philip Rossignol, Rethink BioClean est basé à Regina, mais dessert également Saskatoon et possède un entrepôt à Toronto. Ils ont actuellement une équipe sur le terrain qui prépare le lancement de succursales au Québec, à Halifax et dans quelques autres villes en Ontario. Nous nous sommes entretenus avec Philip.

Pourquoi avez-vous fondé Rethink BioClean?

En temps de COVID-19, nous étions un fournisseur de désinfectants pour les écoles et les entreprises. Nous avions mis en place un réseau de distribution au Canada, et expedions des tas et des tas de produits emballés. Mais nous savions qu’il devait y avoir une meilleure façon de faire. Nous avons donc eu l’idée de mettre au point un système de recharge. En 2020, après avoir développé le logiciel, aménagé une première camionnette et embauché un chimiste pour développer une gamme de produits sans agents chimiques agressifs qui saurait répondre aux besoins de notre clientèle, nous avons lancé notre vente de produits désinfectants avec service de recharge.

Et maintenant, tout roule. Nous ouvrons en moyenne trois nouveaux comptes par semaine, et chaque nouveau client rapporte généralement entre 1 000 et 3 000 dollars par mois.

Selon vous, quels domaines bénéficieraient d’un soutien gouvernemental?

Toute la chaîne d’approvisionnement passe par des appels d’offres, et notre modèle d’entreprise fait en sorte que nous ne sommes pas inclus, de sorte que nous ne pouvons pas lancer d’appel d’offre. Le gouvernement n’a pas ouvert la porte aux entreprises qui livrent en vrac. Pour être honnête, nous sommes la première entreprise au monde à lancer ce modèle à petite échelle, de porte à porte. Et nous faisons surtout affaire avec des entreprises locales qui ne sont pas franchisées. Je me dis que si les distributeurs d’eau peuvent gagner de l’argent en livrant de l’eau à chaque maison, nous devrions être en mesure de pouvoir faire pareil.

Comment voyez-vous votre entreprise créer un changement plus large dans le mouvement zéro déchet?

Beaucoup de personnes désireuses de changer leurs habitudes de consommation pensent que cela engendre des dépenses supplémentaires. Nous montrons aux gens que cela peut être fait sans nécessairement coûter plus cher. Les entreprises sont tellement prises dans leurs habitudes que nous devons entraîner les propriétaires et leurs équipes à repenser, à comprendre comment ce système fonctionne et quels en sont les avantages. Et nous les encourageons en ce sens. 

Anastasia Kiku, Reusables.com, région du Grand Vancouver

Reusables.com est une plateforme d’emballage zéro déchet qui propose aux restaurants, cafés et épiceries de la région métropolitaine de Vancouver un inventaire de récipients et de tasses réutilisables en acier inoxydable. La clientèle qui se rend dans l’un des 60 établissements « Reuser » peut télécharger une application et devenir membre, ce qui lui permet de réserver un contenant qu’elle pourra récupérer sur place. Elle dispose ensuite de 14 jours pour retourner le contenant. La plateforme Reusables a été lancée par Anastasia Kiku et Jason Hawkins l’année dernière. Nous avons parlé avec Anastasia pour en savoir plus.

Comment Reusables.com a-t-il vu le jour?

Avec Jason avons commencé à y penser alors que la pandémie de COVID-19 battait son plein. Nous voyions des restaurants qui devaient fermer leur salle à manger et se contenter de vendre pour emporter. Et les gens qui voulaient soutenir leur restaurant préféré réalisaient que la seule façon de le faire était de commander des repas à emporter. On se retrouve avec tout plein de contenants à laver et à mettre au recyclage, mais le recyclage n’arrive pas vraiment à résoudre le problème. Ça a engendré une véritable montagne de déchets d’emballage. Les gens se sentaient donc coupables et nous nous sommes demandé si nous pouvions créer une meilleure option. 

Nous avons donc fait une étude de marché et travaillé avec des étudiant·es de deuxième cycle en gestion de l’Université de la Colombie-Britannique et quelques étudiant·es d’Emily Carr pour comprendre les habitudes de consommation. Puis, il est devenu évident que la seule chose qui restait à faire était de faire un essai et de voir si notre idée fonctionnait réellement. Nous avons lancé un essai pilote à très petite échelle – quatre magasins – en ayant en tête trois questions : les gens vont-ils adopté ce service ? Les restaurants en veulent-ils ? Seront-ils prêts à payer pour ça? Et la réponse a été trois fois oui.

Y a-t-il des domaines qui pourraient bénéficier d’un soutien public plus élargi?

Les gens doivent faire preuve d’audace. Tout le monde aura besoin de soutien pour la transition. Les entreprises spécialisées dans l’alimentation auront besoin de ressources et d’aide pour changer leurs pratiques. Et il est important que les restaurants adoptent sans attendre la meilleure solution – le réutilisable – plutôt que de troquer des emballages plastiques jetables problématiques pour d’autres emballages compostables tout aussi problématiques.

Le gouvernement du Canada affirme qu’une économie circulaire est l’avenir que nous voulons. Je pense donc qu’il a un rôle important à jouer pour rendre cette économie circulaire possible. Cela signifie un soutien aux entreprises individuelles, mais aussi aux infrastructures. Nous élaborons nos infrastructures en fonction d’une économie linéaire depuis des siècles, et nous avons maintenant l’opportunité de repenser cette économie. 

Et les économies circulaires fonctionnent tellement mieux à petite échelle. Pas à l’échelle de la ville, mais à celle du quartier. Nous voyons une opportunité de créer un tas de petites économies circulaires dans les communautés de Vancouver et de concevoir la ville comme une économie circulaire élargie. Mais nous voyons l’importance de s’impliquer auprès des membres de ces communautés et de leur présenter des entreprises qui changent la donne.

C’est tout pour ce mois de Juillet sans plastique ! Vous voulez encourager ce type d’entreprises et nous militer à nos côté en faveur de la réutilisation et du zéro déchet ? Dites au ministre Guilbeault d’agir !