Nous venons tout juste d’entamer une nouvelle année. À l’heure des bilans de fin d’année et des résolutions pour la nouvelle, nos émotions sont souvent mitigées. Ce sentiment est probablement amplifié cette année avec sanitaire et environnemental. Les enjeux urgents auxquels les gouvernements du monde entier font face ne manquent pas, et baisser les bras n’est pas une option. Mais le début d’une nouvelle année peut aussi être synonyme de nouveau départ. Lorsqu’il s’agit de s’attaquer à un défi mondial évitable – la pollution plastique – 2022 est l’année où les gouvernements mondiaux doivent intensifier, recentrer et réorienter leurs efforts pour éliminer progressivement les plastiques non essentiels et accélérer la transition dont nous avons désespérément besoin vers les systèmes qui favoriseraient un avenir plus vert, plus juste et plus sain pour l’ensemble de la population. 

Heureusement, grâce à la pression exercée par des millions de personnes à travers le monde, les gouvernements commencent enfin à reconnaître que la seule façon de s’attaquer à la crise de la pollution plastique est d’adopter un système basé sur la réutilisation. Lentement, nous avons vu les modèles commerciaux de réutilisation et de recharge gagner du terrain dans le monde entier, mais il est temps pour nous de redoubler d’effort afin d’étendre ces modèles plus rapidement à l’ensemble de l’industrie et des communautés, notamment par le biais de politiques et de lois.

Au niveau mondial, nous avons la possibilité de négocier un traité mondial contraignant sur les plastiques. C’est ce dont nous avons besoin pour que les gouvernements et les grandes entreprises agissent immédiatement afin de réduire considérablement leur empreinte plastique et de passer à la réutilisation et à la recharge. La bonne nouvelle, c’est que nous avons récemment assisté à d’importants changements et amendements de politique au niveau mondial en matière de réutilisation qui méritent d’être soulignés. 

Établir des normes

En novembre dernier, l’Autriche est devenue le premier pays européen à intégrer des objectifs de réutilisation contraignants et exécutoires dans sa loi sur la gestion des déchets en imposant un quota de réutilisation des contenants de boisson de 25 % d’ici 2025. Cette loi exige que des catégories spécifiques de boissons aient un quota minimum d’emballages réutilisables allant de 10 à 15 %. Cela signifie que les supermarchés sont tenus de fournir au moins 15 % de leur stock de bière et d’eau dans des emballages réutilisables, alors que ce quota est de 10 % pour les boissons non alcoolisées, les jus et le lait.

En février 2021, Greenpeace Autriche a organisé une manifestation – mettant en vedette une montagne totalisant 100 000 bouteilles en plastique comprimées – sur la place de la cathédrale Saint-Étienne, dans le centre-ville de Vienne, afin de sensibiliser le public aux effets néfastes des bouteilles à usage unique sur l’environnement. © Mitja Kobal / Greenpeace

Il y a encore 25 ans, l’Autriche possédait un taux de réutilisation des boissons d’environ 80 %. Suite au passage aux bouteilles en plastique à usage unique, considérées comme étant plus pratiques, l’Autriche affiche aujourd’hui un maigre taux de réutilisation de 19 %.

La réutilisation en hausse

La France possède déjà une loi sur la réutilisation des emballages qui exige que 10 % des emballages mis sur le marché soient réutilisables d’ici 2027 et a récemment introduit un décret « 3R » (réduire, réutiliser et recycler). Ce dernier fixe des objectifs de réduction et de réutilisation jusqu’en 2025 et précise que 50 % de la réduction de 20 % des emballages plastiques à usage unique doit venir de la réutilisation. Il convient également de noter que la France a alloué une somme impressionnante de 40 millions d’euros à des investissements de réutilisation pour la période 2021 – 2022 dans le cadre de son fonds pour l’économie circulaire.

Son proche voisin, le Portugal, a modifié sa loi, qui stimule maintenant que d’ici 2030, 30 % de tous les emballages mis sur le marché devront être réutilisables, et ce, peu importe le matériel utilisé. De même, la Roumanie a inclus dans sa politique de gestion des déchets une augmentation annuelle de 5 % des emballages réutilisables jusqu’en 2025 (pour atteindre un minimum de 25 % en 2025). De même, l’Espagne a rédigé un projet de décret national fort prometteur qui contient plusieurs propositions, notamment des quotas de réutilisation des contenants de boisson dans le secteur de l’hôtellerie (HORECA) pour l’eau, la bière, les jus et les boissons non alcoolisées, ainsi qu’un objectif général de réutilisation des contenants de boisson pour la consommation domestique. Les régions espagnoles de Navarre et des Baléares disposent de lois progressives sur la réutilisation des contenants de boisson depuis 2018.

Des activistes de Greenpeace surplombent un déversement de plastique dans une usine d’embouteillage en Autriche pour demander à Coca-Cola de troquer les bouteilles à usage unique pour des bouteilles réutilisables. La bannière dit : « Mettez fin au déluge de plastique. » © Mitja Kobal / Greenpeace

Les pays du Sud ouvrent la voie

Les pays du Sud sont familiers avec les modèles de réutilisation, et l’adoption de tels systèmes peut être accélérée à l’aide de politiques encourageant leur adoption tout en imposant une réduction de la production et de l’utilisation du plastique. Il est toutefois essentiel que les systèmes de réutilisation soient conçus en tenant compte du contexte local, de leur coût et de leur accessibilité pour les communautés à faible revenu.

Le Chili, soit le pays le plus avancé des Amériques en termes de réutilisation, a introduit un projet de loi sur la réglementation du plastique en août 2021. Ce texte promeut et encourage la vente de contenants de boisson réutilisables; les fournisseurs doivent proposer des bouteilles réutilisables et reprendre les bouteilles consignées. Il prévoit également qu’au moins 30 % des bouteilles vendues dans les supermarchés soient consignées pour être réutilisées.

Du côté de l’Inde, le gouvernement a annoncé que les assiettes, les gobelets, les couverts (ainsi que d’autres articles inutiles en plastique à usage unique) seront interdits à compter du 1er juin 2022. Bien que cette interdiction soit nécessaire, nous ne devons pas oublier que de nombreux pays du Sud ont encore des systèmes traditionnels basés sur la réutilisation qui ne dépendent pas des plastiques à usage unique, comme le système des dabbawala en Inde. L’incorporation de ces systèmes fondés sur la réutilisation par le biais de politiques est loin d’être présente au niveau législatif. En dehors des politiques, des pays comme l’Indonésie ont de nombreux projets de réutilisation qui redéfinissent la commodité des pratiques de recharge grâce à des applications numériques telles KoinPack, Qyos de Algramo et d’autres initiatives.

Qu’en est-il du Canada?

Malheureusement, la réutilisation a été largement omise du plan d’action canadien visant l’atteinte de zéro déchet de plastique d’ici 2030. Bien que le gouvernement fédéral ait récemment publié une ébauche d’évaluation scientifique de la pollution plastique portant sur l’interdiction de six articles en plastique à usage unique, l’absence d’objectifs de réutilisation ou d’exigences de remplacement signifie que les plastiques à usage unique seront très probablement remplacés par d’autres produits jetables et que les systèmes défaillants de production et de prestation de services axés sur l’élimination se retrouveront renforcés. Le Canada doit sérieusement investir dans l’infrastructure de réutilisation et dans une transition rapide et juste vers des systèmes de réutilisation et de recharge réellement zéro déchet et axés sur la communauté. Plutôt que de subventionner la production de plastique et les fausses solutions aux déchets et à la  pollution, l’année 2022 doit faire du soutien et des incitatifs aux initiatives de réutilisation et de réduction son cheval de bataille. Il faut commencer par s’assurer que les 100 millions de dollars du fonds d’infrastructure et d’innovation pour la réutilisation et le recyclage servent à soutenir les initiatives de réutilisation et de recharge en pleine croissance et à développer les infrastructures, modèles et systèmes de réutilisation.

Et ensuite? 

Bien que ces mesures constituent un pas dans la bonne direction, le temps presse et nous devons inciter davantage de gouvernements à prioriser la réutilisation, la recharge et la réduction des plastiques dans leurs politiques à l’échelle mondiale. La Fondation Ellen MacArthur a récemment publié son rapport d’activité annuel, qui fait état des engagements pris par le secteur des biens de consommation en matière de réduction des plastiques et dans lequel la fondation déclare que « le manque d’ambition et d’action en matière de réutilisation est préoccupant ».

Comme le souligne le rapport Realising Reuse publié plus tôt cette année, l’intensification des efforts de réutilisation présente de nombreux avantages environnementaux et économiques qui peuvent contribuer aux objectifs de l’économie circulaire. En fait, l’augmentation de 50 % de la réutilisation dans le secteur de l’alimentation et des boissons d’ici 2030 nous permettrait d’utiliser 27,1 millions de tonnes de ressources en moins.

Distributeurs de produits alimentaires secs dans une station de recharge offrant une gamme de produits non emballés, et ce, dans le but d’économiser des milliers de tonnes de plastique inutile. Isabelle Rose Povey / Greenpeace

Pour lutter contre la crise du plastique et du climat, les gouvernements doivent faire front commun et mettre en œuvre des politiques contraignantes pour développer des systèmes fondés sur la réutilisation. En réalité, nous avons une immense opportunité d’ouvrir la voie à une révolution du réutilisable par le biais d’un traité mondial contraignant sur les plastiques qui établit un cadre afin que les pays puissent réduire leur production et leur consommation de plastique, et se diriger vers un avenir sans plastique. Et cette législation doit inclure des mesures fortes de réutilisation et de recharge.

Nous appelons les gouvernements du monde entier et les grandes marques à s’engager en faveur d’un traité mondial sur les plastiques, à réduire la quantité d’emballages plastiques produits et à investir dans la recharge et la réutilisation afin de sauver notre planète. 

Sarah King est responsable de la campagne Océans et Plastique chez Greenpeace Canada. Caroline Wagner est chargée de la campagne globale sur les plastiques de Greenpeace International.