Pour célébrer la Journée internationale des droits des femmes, Greenpeace Canada est fière de mettre en lumière les fxmmes  qui font bouger la machine! Chaque jour,  elles vous partageront leurs perspectives sur leurs rôles et leur vécu au sein du mouvement environnemental!

C’est ainsi que je revendique l’espace et défie la suprématie blanche dans le secteur à but non lucratif.

Moi et Jerry Natanine, Maire de Kangiktugaapik (Clyde River) au Nunavut, sur un bateau de Greenpeace,
l’Arctic Sunrise, alors que nous voguons en direction de Baffin Bay en 2016. ©Greenpeace

J’ai récemment été interviewée pour le projet d’acquisition de talents de Greenpeace et on m’a demandé de partager mon histoire d’employée. Voici ce que cela m’a apporté…

Je suis directrice adjointe de Greenpeace Canada depuis un an. Mon rôle comprend la conception et la mise en œuvre d’un nouveau plan stratégique, la supervision des travaux juridiques clés, la collaboration avec notre équipe Personnes et Culture, ainsi que la direction des approches de diversité et d’appartenance pour les systèmes internes et les campagnes externes. Les défis auxquels notre organisation est confrontée ne sont pas uniques, mais chacun d’entre eux est urgent : faire face aux crises climatiques et de biodiversité, parvenir à une relance verte et juste post-pandémie, mettre l’emphase sur le bien-être du personnel et éviter l’épuisement professionnel; et tout cela en veillant à ce que notre travail et nos environnements de travail soient enracinés dans l’équité, la justice et l’élimination de la suprématie blanche.

Je suis nouvelle dans ce rôle mais je ne suis pas nouvelle chez Greenpeace, ayant d’abord rejoint l’organisation en tant que responsable de la campagne arctique en 2013. Je ne suis pas non plus nouvelle dans le domaine des campagnes et de la communication, qui ont été au centre de ma carrière. Mais mes racines dans le militantisme remontent encore plus loin, et le fait d’intégrer mon expérience personnelle dans mon rôle donne un sens et un avantage supplémentaires à mon travail. Qui je suis et d’où je viens ont un impact sur la façon dont je contribue à la société sur le plan professionnel. J’ajouterais même que mes expériences depuis mon plus jeune âge ont fait plus pour me préparer aux réalités d’une carrière dans le domaine de la justice sociale et environnementale que l’éducation formelle n’a jamais pu le faire.

Dans le bain de l’activisme

J’ai été élevée dans une famille musulmane Pendjabi, politiquement engagée et axée sur la communauté, dans la banlieue de Toronto. Comme beaucoup d’enfants d’immigrant·es, j’ai grandi dans un foyer vivant, multigénérationnel, avec des hauts et des bas. Les discussions politiques animées étaient la norme lors des réunions de famille. Je me rappelle par exemple de dîners durant lesquels des tantes et des oncles se sont déchaîné.es contre la propagande américaine pendant la guerre du Golfe, la solidarité pour la libération de la Palestine, les prises de position sur Thatcher, Mulroney, les Bhuttos et les Bush. Nous avons trouvé une communauté avec d’autres familles d’immigrant·es qui partageaient nos valeurs et notre langue. Dans ma jeunesse, mes parents nous emmenaient, mon frère et moi, aux réunions du conseil municipal pour témoigner des députations sur la construction d’une nouvelle école islamique, des collectes de fonds pour les mosquées locaux. Nous avons aussi fabriqué des banderoles pour la Palestine en classe d’ourdou du samedi. On nous a enseigné la paix, comment la violence coloniale a influencé notre situation, ou encore le traumatisme que nos grands-parents ont subi à cause de la partition de l’Inde. Le mantra de mon père est que nous avons été mis sur cette planète pour servir l’humanité. Ma mère a peint en bleu un signe géant de paix sur le capot de notre voiture familiale.

Moi à 8 ans.

Construire une communauté et s’organiser pour le changement faisait et fait partie intégrante de nos vies, mais nous n’avons jamais vraiment appelé cela du militantisme. Certain·es diraient que c’est notre mode de vie. Pas un passe-temps ou un neuf à cinq. Mais de bien des manières, ce style de vie nous est imposé parce que dans une société suprémaciste blanche où la culture dominante prévaut, nous – et d’autres dans des circonstances similaires – devons plaider pour défendre notre culture, notre foi, notre existence même. En vieillissant, mon éducation m’a amenée à développer d’autres façons de m’engager dans le militantisme. J’ai protesté contre les coupures dans l’éducation au lycée et la deuxième guerre en Irak. J’ai aussi lutté contre les oppressions au sein de ma propre famille et communauté car la réflexion intérieure et la croissance sont également importantes. J’ai des sentiments compliqués et non résolus au sujet de mon éducation et de ma connexion avec la communauté actuelle. Nous ne sommes pas immunisé·es contre la perpétuation du colorisme, du racisme envers les personnes noires et Autochtones, de la misogynie, du capacitisme, du classisme, de l’homophobie, de la transphobie et d’autres formes de discriminations. Nous pouvons être complices en infligeant des dommages alors que nous expérimentons simultanément nos propres formes d’oppression et de traumatisme intergénérationnels – et nous devons continuer à résister et à dénoncer ces abus.

Des organismes à but non lucratifs majoritairement blancs

J’ai étudié en sciences-politiques, ensuite commencé ma carrière dans la réalisation de documentaires, puis rapidement commencé à travailler dans le secteur à but non lucratif. Finalement j’ai mis le pied chez Greenpeace, où j’ai trouvé mon chemin à l’intersection de l’environnement et des droits humains. Aujourd’hui, j’ai la chance de travailler aux côtés de collègues passionné·es, créatif·ives et rebelles. Des gens qui n’acceptent pas le statu quo et n’ont pas peur de remettre en question les systèmes qui détruisent simultanément notre climat et font obstacle à la justice sociale. Pour l’essentiel, je peux être moi-même au travail, en m’appuyant sur mes expériences vécues et professionnelles pour informer les campagnes, collaborer avec les communautés et développer des stratégies. Mais je suis également confrontée au racisme et au sexisme systémiques ou ordinaires au travail ; c’est une lutte épuisante pour être entendue et respectée dans les espaces à dominante blanche et centrés sur les blancs dans lesquels je travaille principalement. Si vous avez suivi la série Reply All sur le racisme systémique à Bon Appetit et les rapports sur la toxicité par Gimlet Media, rien de tout cela ne vous surprendra. Pour les PANDC ( Personnes Autochtones, les Noirs et De Couleur), dans les médias, les associations à but non lucratif, les technologies, dans presque tous les secteurs et en particulier sur les lieux de travail qui se décrivent comme «progressistes», ces histoires sont toutes si familières.

En tant que femme Desi occupant un poste de direction dans un organisme à but non lucratif, je détiens plus de privilèges que dans les rôles précédents. Je suis également consciente de certains obstacles auxquels font face les personnes PANDC dans ce secteur. Comme l’ont souligné d’autres membres du mouvement environnemental, y compris ma collègue Jesse Firempong, les groupes environnementaux traditionnels au Canada ont pendant trop longtemps jeté un regard blanc et privilégié sur la façon dont la société perçoit les problèmes environnementaux; et cela, tout en connaisant mieux que quiconque les impacts négatifs de la dégradation de l’environnement et des changements climatiques sont surtout ressentis par les communautés de couleur. Comme moi, de nombreuses personnes PANDC ont une connaissance profonde et directe de la mobilisation grâce à leurs vécus. Toutefois, au lieu d’être apprécié·es pour nos talents et notre expertise, nous avons été en grande partie exclu·es des ONGE et des organismes à but non lucratif en général. Parfois, c’est parce que nous n’avons pas le bon parcours scolaire ou les bons diplômes. On nous dit même que nous sommes trop qualifié·es. Et même si nous avons les bons diplômes et le bon parcours scolaire, le fait est que souvent nous ne gravitons pas dans les mêmes cercles blancs de gauche. Ou enfin, on nous dit simplement que nous ne sommes « pas un bon choix » pour une organisation, ce qui est un rejet trop courant et démoralisant à recevoir, et exacerbe la pression qui pèse sur nous pour que nous nous adaptions aux codes blancs du lieu de travail. Cela a été difficile de rentrer dans des organisations à but non lucratif lorsque j’ai décroché mon premier emploi dans une ONGE il y a quinze ans, et je suis triste de dire qu’il est encore difficile pour les PANDC de trouver et de maintenir des emplois dans le secteur aujourd’hui.

Résister à la pression de rentrer dans le moule

L’authenticité compte. Le succès du changement social exige de représenter les réalités des mouvements pour la justice, sans sauveur extérieur. Greenpeace est une organisation blanche avec un héritage colonial, qui porte en elle à la fois de la sagesse à partager,  qui provient de ses cinquante années de campagne, mais aussi le poids d’erreurs telles que de prendre trop de place dans le mouvement ou de blanchir complètement l’environnementalisme. Bien que je puisse comprendre pourquoi de nombreuses personnes PANDC ne sont pas intéressées à participer au militantisme dominant, plus de leadership PANDC encouragerait des campagnes plus authentiques et respectueuses. Cela pourrait aider à inverser les méthodes de travail coloniales et améliorer les résultats de nos campagnes, car comme je l’ai dit précédemment, pour certain·es d’entre nous l’activisme est dans nos racines.

Aux personnes Noir·es, Autochtones et racisées et à toutes cell·eux qui militent en ce moment pour plus d’équité au sein du milieu communautaire ou à cell·eux qui cherchent à démarrer une carrière dans le secteur, voici mon conseil: résistez à la pression de rentrer dans le moule. Remettez en question la façon dont les choses ont toujours été faites au sein de l’organisation et ne sous-estimez pas votre capacité à apporter de grands changements, à introduire de nouvelles façons de travailler, à communiquer et à être vous-même. Vivez votre vérité, même si cela s’apparente parfois à un acte de rébellion. Trouvez des allié·es au sein de votre équipe, appuyez-vous les un·es sur les autres pour obtenir du soutien et du mentorat. J’écris ceci tout en sachant que je n’ai pas toujours suivi moi-même ces conseils. C’est vraiment difficile d’être une voix dissidente au sein d’un espace, en particulier lorsque vous êtes issu·e d’une minorité, et lorsque le système est conçu pour vous invisibiliser et vous faire taire. Cela peut compromettre votre bien-être personnel et la sécurité de votre emploi. Il y a un équilibre délicat à trouver entre apprendre les ficelles d’un métier et vouloir exceller dans votre rôle d’une part, et vouloir contester les défaillances systémiques d’une organisation d’autre part. En même temps, ce dont les organisations à but non lucratif ont le plus besoin en ce moment, c’est l’inclusion de nouvelles perspectives pour combler des lacunes de connaissances longtemps ignorées, en particulier en matière de leadership. Les obstacles au succès sont réels, décourageants et préjudiciables. Alors, pour leur résister, nous devons occuper l’espace et donner la priorité à notre valeur intrinsèque et à notre bien-être.

Raunauk, ou l’antidote

Cela m’amène à une autre leçon remarquable de mon éducation, à savoir l’importance de l’entraide et de la joie. Alors que je recherche passionnément la justice et que je lutte contre le racisme, l’islamophobie, la suprématie blanche et d’autres oppressions systémiques avec d’autres membres des communautés Desi et musulmanes, nos luttes s’équilibrent avec nos vies riches, pleines et bienveillantes. Dans de telles circonstances, l’entraide est une nécessité et – comme dans de nombreuses sociétés collectivistes – c’est aussi une norme culturelle. Bien avant que la notion de prendre soin de soi ne soit banalisée et reconditionnée pour le public blanc grâce à l’appropriation culturelle de l’industrie du bien-être et aux bougies «vivre, rire, aimer » vendues sur Etsy, nous avons depuis longtemps, avec le soutien et l’attention de nos  communautés, veiller à recharger nos batteries et à écouter nos proverbes comme outil de survie. 

Comme moi, les Desis sont des expert·es dans la culture de ce que nous appelons «raunak», qui se traduit imparfaitement par «beauté, vie et exubérance» en ourdou et dans d’autres langues du sous-continent. Cela se traduit par du plaisir, des rires, de la musique, de la poésie, mais cela signifie aussi prendre soin de soi et de la communauté. Oh, et beaucoup de nourriture. Nous préparons des plats délicieux en abondance. Et bien que nos expériences soient différentes, d’autres communautés qui ont subies la colonisation semblent partager ce talent similaire et souvent inné d’équilibrer les défis de la vie avec un peu de plaisir – comme dans la lutte pour la libération des Noir·es ou pour la souveraineté autochtone. Janaya Khan, autrice et cofondatrice de Black Lives Matter Toronto a partagé ses réflexions sur la valeur du squad-care ou l’entraide communautaire forte au sein d’un groupe tissé-serré. L’écrivain et animateur Anishinaabe Jesse Wente explique que pour de nombreuses communautés autochtones, leurs histoires et leurs luttes pour le changement ne sont pas dénuées de joie. Je trouve que la joie est nécessaire pour guérir de la misère. Le plaisir peut être activement cultivé comme un antidote au désespoir. Nos luttes font partie de nos identités, mais elles ne définissent pas toute notre essence, et elles ne le devraient pas non plus. Peut-être que par-dessus tout, nous aussi méritons de la joie.

Dans une organisation militante comme Greenpeace, prendre soin de notre personnel et donner la priorité à son bien-être est une autre priorité absolue, même si cela n’a pas toujours été le cas. Les crises du climat et de la biodiversité ne vont pas disparaître de si tôt. Cela peut être une tâche lourde et onéreuse de travailler quotidiennement sur ces menaces existentielles, d’autant plus pour les personnes racisées. Mes collègues sont passionné·es par leur emploi et il est facile pour ell·eux de venir travailler chaque jour, d’en accepter les exigences et d’être disponibles à toute heure de la journée. Cela contribue à créer une culture malsaine de se surpasser continuellement pour la cause et de s’épuiser. Or, pour s’attaquer aux problèmes auxquels nous faisons face, nous avons besoin d’endurance. Nous devons être au meilleur de notre forme pour continuer à progresser et poursuivre nos campagnes sur le long terme. La résilience rendra notre travail durable et fructueux. Rechercher activement la joie, prendre soin les un·es des autres, ajouter un peu de raunak à nos vies, tout en agissant pour parvenir à un monde plus équitable, plus juste et plus durable, peut contribuer à notre endurance et nous aider à atteindre nos objectifs collectifs.

L’activisme est au cœur de mon identité, mais cela ne résume pas qui je suis. Je cuisine, je ris, je jardine. J’adore la décoration intérieure abordable. Ma communauté choisie me nourrit parce que je reçois et je donne. Avoir été exposée dès mon plus jeune âge aux luttes pour la justice a ancré en moi la certitude que j’évolue dans des espaces qui ne sont pas toujours accueillants pour des personnes comme moi. En tant que femme Desi, je n’ai ni l’intérêt ni le luxe d’abandonner le côté activiste de mon identité. Mais dans la gravité de l’époque où nous vivons aujourd’hui, je pense qu’il est sage de chercher à parts égales la dissidence et le plaisir. Comme ma communauté, nos aîné·es et nos ancêtres nous l’ont appris, ce sont les deux ingrédients nécessaires pour parvenir à un changement transformateur.

Qui suis-je ? La directrice adjointe chez Greenpeace Canada. J’ai trouvé ma voie professionnelle en travaillant sur les questions à l’intersection de la justice environnementale et sociale. J’en ais plus qu’assez de la suprématie blanche et de la misogynie systémique dans les organisations à but non lucratif et je suis là pour revendiquer de l’espace et exiger le changement.

Ce texte a aussi été publié en version originale anglaise sur Medium.