Lorsque nous avons émergé du marathon de négociations de deux semaines – pour ne pas dire de plusieurs années – qui a précédé l’adoption de l’Accord de Paris, nous avons ressenti un mélange de joie, de soulagement et d’épuisement.

Nous savions que le succès de l’Accord de Paris reposerait sur sa mise en œuvre. Nous avions conscience d’avoir éliminé le prétexte utilisé par les tenants du statu quo, c’est-à-dire l’inexistence d’un traité international. Nous avions la satisfaction d’envoyer un message clair à l’effet que l’ère des carburants fossiles tirait à sa fin. Après tout, cet accord avait pour but d’atteindre la neutralité carbone et de limiter l’élévation de la température à 1,5 °C. Il incluait une « clause cliquet » incitant les pays signataires à revoir leurs objectifs de réduction des émissions à la hausse à tous les cinq ans. Toutes ces mesures avaient pour but de nous mener vers des horizons plus radieux.

Nous avons donc saisi l’occasion de célébrer cette victoire.

Il y avait de quoi fêter, puisque cet accord fondé sur la science reconnaissait enfin que la biodiversité et les populations les plus vulnérables ne devaient pas être anéanties par un système motivé par l’appât du gain et ne profitant qu’à une petite élite. Face à l’industrie fossile, nous avons célébré la beauté et la diversité d’un mouvement par lequel des gens de tous les pays ont uni leurs voix pour faire pencher la balance en faveur des populations vulnérables. Nous nous sommes réjoui·es que le monde entier ait trouvé le moyen de coopérer – tous les pays à l’unisson – pour faire adopter un nouvel accord international contraignant.

Nous savions également que ces célébrations seraient de courte durée, parce que l’Accord de Paris servirait de catalyseur à un mouvement d’opposition encore plus fort, qui n’hésiterait pas à employer tous les moyens pour agir à sa guise et perpétuer les vieux mécanismes de pouvoir générateurs d’inégalités.

Cinq ans ont passé et nous voici maintenant dans l’œil du cyclone. Nous devons mener une lutte acharnée tout en faisant face à une pandémie mondiale. L’industrie fossile ne ménage aucun effort pour rester solvable : elle mène des campagnes de relations publiques coûtant des millions de dollars pour faire peser le poids des émissions sur les individus, en plus de réclamer des fonds publics de manière insistante même si cela risque d’exacerber l’urgence climatique qu’elle a elle-même provoquée. Soutenu par ces mêmes intérêts, le président des États-Unis s’accroche au pouvoir à l’aide de mensonges et d’une rhétorique de division. Nous voyons encore des acteurs supranationaux investir dans l’industrie du charbon des pays en développement, sachant que ces investissements sont à la fois nocifs pour notre santé et le climat, et sachant que ces actifs risquent d’être un fardeau pour les pays hôtes lorsqu’ils auront été délaissés.

Cette situation brise le lien de confiance que nous devons établir avec les jeunes générations si nous voulons les protéger adéquatement. Les jeunes comprennent parfaitement ce qui est en jeu et savent qu’ils hériteront d’un avenir imprévisible et instable. Comme des dizaines de millions d’autres personnes de tous horizons, ces jeunes ont dit : « Nous voulons un monde différent, axé sur le mieux-être de toutes les populations et de la biodiversité. Un monde qui célèbre la beauté et la variété de la nature et de notre humanité au lieu de les opprimer. »

Au cours des cinq dernières années, nous avons observé l’impact grandissant de mouvements pacifiques sur le terrain. Nous avons aussi obtenu des résultats probants : le Danemark a annoncé la fin de l’exploration et de la production pétrolières dans l’Arctique; le gouvernement norvégien fait l’objet d’une poursuite en raison de ses activités pétrolières dans la même région; un mouvement de solidarité est venu en aide aux Peuples autochtones de l’Amazonie dans leur lutte contre l’accaparement des terres, la déforestation et les lois injustes du gouvernement Bolsonaro; des voix se sont élevées pour demander la justice environnementale et la fin du racisme systémique aux États-Unis; et la relance juste et verte a été d’actualité dans de nombreux pays.

Nos responsables politiques doivent être à l’écoute de ces mouvements, allouer des fonds publics à la relance juste et verte, et tel que promis à Paris, renforcer leurs engagements climatiques nationaux respectifs de manière à limiter la hausse des températures à 1,5 °C. Annoncer des cibles pour 2050 sans indicateurs clairs ni lois contraignantes n’est rien pour satisfaire aux attentes créées il y a cinq ans lors de cette soirée de célébration et d’espoir. Et pourtant, de nombreux pays et de nombreuses entreprises s’invitent encore à la fête en annonçant des engagement lointains, sans se doter d’objectifs clairs à court terme.

Or, l’urgence climatique est un problème à court terme. Elle a un impact sur des millions d’entre nous dès maintenant. Des gens perdent tout ce qu’ils possèdent en raison d’incendies, d’inondations, de sécheresses et de températures extrêmes en ce moment même. Cela veut dire que des décisions doivent être prises immédiatement pour stopper la déforestation et délaisser progressivement les carburants fossiles. Nous voulons un monde meilleur, où l’objectif « zéro émission nette » assurera la santé et le mieux-être d’un plus grand nombre de personnes.

De nombreux mouvements pour la justice climatique ont émergé et connu une croissance exponentielle depuis l’adoption de l’Accord de Paris. Leur nombre et leur détermination reflète le nombre de gens subissant l’urgence climatique à titre individuel et souhaitant que les gouvernements traitent cette urgence avec tout le sérieux qu’elle mérite.

Cette année, nous avons appris que lorsque la science oriente les politiques publiques, lorsque les médias traitent une question urgente avec sérieux, et lorsque le bien-être des gens et des populations vulnérables deviennent prioritaires, les autorités peuvent agir très rapidement et avec détermination pour susciter des changements historiques à l’échelle mondiale.

En ce cinquième anniversaire de l’Accord de Paris, il est temps que nos leaders soient à l’écoute de la nature et de la jeunesse. Il est temps d’accepter le changement et d’agir rapidement pour bâtir un monde durable et équitable, comme si nos vies en dépendaient. Car c’est bel et bien le cas.

Par Jennifer Morgan, directrice générale de Greenpeace International