Les évangélistes des marchés financiers ne vont pas se laisser abattre sans livrer bataille. Dans une lettre d’opinion parue dans le Globe and Mail ce dimanche (« Développer une «relance verte» est une idée épouvantable » – traduction libre), l’ancien président de la Commission éco fiscale Chris Ragan et son collègue Andrew Potter mettent en garde contre « les gouvernements qui essaient de choisir les gagnants sur le marché » en plaçant la lutte aux changements climatiques au cœur de leur relance post-pandémie.  

Ils affirment que les gouvernements ne devraient pas profiter de la suspension, imposée par la pandémie, des politiques favorisant le statu-quo pour prendre des mesures populaires et durables qui se sont avérées les plus efficaces pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). Cela violerait, selon eux, le principe selon lequel les marchés sont les mieux placés pour savoir ce qui est bon. Bon pour qui? Dans un monde où les milliardaires américains ont augmenté leur richesse de 434 milliards de dollars depuis le début de la pandémie, il est permis de se le demander.

Ragan et Potter plaident plutôt pour une solution purement basée sur le marché (une taxe carbone plus élevée). Ils ne disent en revanche rien sur le fait que cette approche est la moins populaire politiquement et la plus facile à inverser. Rien non plus sur sa faible contribution à la réduction des GES comparativement à des mesures telles qu’une réglementation plus stricte en matière de rendement énergétique des véhicules, de meilleurs codes de construction ou des investissements publics visant l’élimination progressive du charbon.

La taxe carbone devrait-elle être notre seule réponse à la crise climatique? Tous les chercheurs en économie ne sont pas de cet avis.

Torsten Jaccard, étudiant au doctorat en économie, a rapidement souligné sur Twitter certaines lacunes dans la logique interne de l’augmentation de la taxe carbone.

Brendan Haley, directeur des politiques chez Efficacité Énergétique Canada, a lui aussi critiqué le fondamentalisme du marché dans un fil Twitter qu’il a accompagné d’un article résumant ses arguments sur la nécessité d’avoir davantage qu’une taxe carbone.

Et bien sûr, il y a toujours l’excellent compte d’Armine Yalnizyan pour des pensées intelligentes sur tout ce qui a trait à l’économie (note à l’intéressée : j’aimerais beaucoup qu’Armine, une boursière de la Fondation Atkinson sur l’avenir des travailleurs, écrive là-dessus).

Pour être juste, il y a quelques comparaisons entre des pommes et des oranges dans l’article de Ragan/Potter et les critiques qui leur ont été adressées. Elles mettent en contraste une taxe sur le carbone et des dépenses de relance, alors que toutes les propositions sérieuses que j’ai pu voir jusqu’à présent impliquent un plan de relance vert beaucoup plus large, conçu pour remodeler l’économie, et qui comprennent un mélange de nouvelles réglementations et de taxes en plus de dépenses en infrastructure.  

Alors, dans l’esprit d’un débat constructif, à quoi cela ressemblerait-il ? Greenpeace Canada s’est jointe à des centaines d’organisations environnementales, syndicales et de justice sociale pour soutenir 6 principes pour une relance juste, assortis de quelques idées que nous avons présentées au gouvernement fédéral sur la façon dont ces principes pourraient être transformés en politiques publiques (y compris un prix plus élevé sur la pollution).

Mes collègues de l’unité européenne de Greenpeace ont résumé le tout en trois tests qui permettent de mesurer si les plans de relance économique contribueront à lutter contre les changements climatiques ou si, au contraire, ils renforceront le système économique actuel fondé sur les combustibles fossiles et la production continue de déchets. 

Vous trouverez beaucoup plus de détails sur leur site Web (en anglais), mais veuillez nous dire dans la section commentaires comment vous pensez que nous devrions adapter cette idée au Canada.

Test n˚1 : est-il à l’épreuve du temps ?

  • Ne pas renflouer les industries fossiles (gaz, pétrole, charbon);
  • Ne pas accorder de plan de sauvetage aux compagnies aériennes, aux constructeurs automobiles ou à d’autres industries polluantes sans conditions environnementale et sociale strictes;
  • Aligner toutes les mesures sur une réduction de 65 % des émissions de l’UE d’ici 2030;
  • Mettre fin à toutes les subventions aux combustibles fossiles;
  • Détourner les fonds publics des activités polluantes (ex : l’agriculture industrielle) pour les consacrer à des solutions qui donnent du travail à un plus grand nombre de personnes (ex : la production décentralisée d’énergie renouvelable), réduisent l’empreinte écologique et climatique mondiale de l’Europe et aident la nature à se rétablir;
  • Lutter contre la surconsommation, les déchets et la pollution, et réduire les pesticides, la consommation de viande et de produits laitiers, et les produits et articles à usage unique.

Test n˚2 : est-ce qu’il répond aux besoins de tous et toutes ?

  • Protéger les moyens de subsistance et les emplois décents, et soutenir la reconversion des travailleuses et des travailleurs des secteurs non durables vers les secteurs soutenables de l’économie;
  • Investir dans des emplois de qualité dans des secteurs d’avenir (ex : les énergies renouvelables, l’éco-rénovation, les infrastructures de transport collectif et de mobilité douce, les réseaux ferroviaires, l’agriculture écologique, la restauration des milieux naturels, l’économie circulaire et zéro déchet, l’écoconception, les soins de santé publics, l’éducation, les arts);
  • Mettre fin à l’évasion fiscale et veiller à ce que les plus riches contribuent le plus au financement de la relance au lieu de faire peser des montagnes de dettes sur les générations futures;
  • Renforcer les services publics essentiels, investir dans les espaces verts urbains et les infrastructures naturelles;
  • Soutenir les personnes les plus vulnérables de la société et lutter contre l’inégalité des revenus;
  • Veiller à ce que les politiques de numérisation aient un impact positif sur l’emploi et protègent les droits et les libertés.

Test n˚3 : protège-t-il les droits fondamentaux?

  • Conditionner tout financement au respect de la démocratie, des droits fondamentaux et de l’État de droit, et sanctionner toute infraction;
  • Décourager l’utilisation des applications de traçage.