La frénésie médiatique entourant la baisse record des prix du pétrole et de la demande de combustibles fossiles due aux mesures de confinement masque le fait qu’un autre secteur est lui en plein essor : celui de la pétrochimie.

À en croire le PDG de l’Association Canadienne de l’Industrie de la Chimie (ACIC) – qui fait pression sur les gouvernements au nom des entreprises pétrochimiques et plastiques – « la demande en emballages plastiques n’a jamais été aussi forte ». C’est particulièrement le cas dans de nombreux supermarchés « où on trouve désormais du plastique sur des produits qui n’avaient auparavant jamais été emballés ».

Alors oui, en ce moment, le plastique à usage unique et le suremballage sont en augmentation. Mais est-ce pour autant le signe d’un retour en grâce pour le plastique? Je n’en suis pas si sûre.

Pour de nombreux consommateurs et consommatrices, le plastique reste invariablement associé à une grave crise mondiale de pollution. Et alors que les premiers signes d’aggravation de cette pollution commencent à faire le tour des médias, il est important de souligner le fait que la production de plastique alimente également une autre crise : les changements climatiques.

La quasi totalité des plastiques est issue de combustibles fossiles

Les plastiques sont majoritairement des dérivés du pétrole et du gaz naturel.

Or le développement massif de la fracturation hydraulique pour les gaz de schiste en Amérique du Nord a permis aux producteurs pétrochimiques de récolter les bénéfices de la croissance de production de gaz naturel liquéfié. Jouissant d’un relatif anonymat, cette branche du secteur pétro-gazier continue ainsi d’alimenter la crise climatique et celle de la pollution plastique. 

Au Canada, l’industrie pétrochimique transforme principalement deux composants du gaz naturel : l’éthane (éthylène) et le propane (polypropylène), qui sont ensuite convertis en granulés de plastique.

Illustration : Sébastien Thibault

L’Alberta abrite ainsi deux des plus grandes usines de production d’éthylène du monde, propriétés des géants du plastique Dow Chemical et Nova Chemicals. Ces deux usines pétrochimiques produisent chaque jour des millions de petites granules de polyéthylène – le plastique le plus en demande mondialement –  qui sont ensuite utilisées dans la fabrication de tout un éventail d’articles jetables allant du sac plastique à l’emballage ou au film alimentaire, en passant par les tuyaux.

Pluie de subventions sur l’industrie pétrochimique

Bien sûr, l’industrie pétrolière et gazière ne compte pas s’arrêter là. Avec l’appui de subventions accordées par la province et par le fédéral, elle compte se diversifier pour continuer d’assurer ses profits et trouver de nouveaux débouchés pour sa production d’hydrocarbures qu’elle peine à exporter.

La première phase du « Programme de diversification pétrochimique » instauré par le précédent gouvernement de l’Alberta a ainsi permis à deux entreprises (Pembina Pipeline Corp. et Inter Pipeline) de mettre la main sur un total de 500 millions de dollars en subventions et crédits de redevances pétrolières – normalement versées à l’État – afin de les aider à construire des usines de polypropylène, un dérivé du propane servant notamment à la fabrication d’emballages alimentaires et de pailles.

Mais la production pétrochimique du Canada ne se limite pas à l’Alberta. En 2018, Nova Chemicals avait pu elle aussi bénéficier d’une subvention fédérale de 35 millions de dollars pour agrandir son usine de polyéthylène de Sarnia en Ontario. Une subvention accordée à la veille de l’annonce par le gouvernement Trudeau d’une alliance des pays du G7 pour réduire ou éliminer l’utilisation du plastique à usage unique. Vous avez bien lu! 

Lutter contre les pipelines ou contre les plastiques à usage unique : et pourquoi pas les deux?

Retour en 2019. Le gouvernement Trudeau a été réélu sur des promesses, parmi lesquelles l’interdiction des plastiques à usage unique figurait en bonne place. Pourtant, il semble que ce gouvernement essaie de jouer sur les deux tableaux. 

Il prétend que les 12 milliards de dollars dépensés pour la construction du pipeline TransMountain contribueront d’une manière ou d’une autre à la lutte contre le changement climatique. Il semble croire que les subventions à la production de plastiques à usage unique sont en quelque sorte compatibles avec une interdiction de ces mêmes produits.

Une chose est sûre :  les Canadien·nes doivent rester vigilant·es sur les intentions du gouvernement fédéral. Ensemble, nous avons déjà réalisé de nombreux progrès pour renverser la tendance en matière de plastique à usage unique, qu’il s’agisse des pressions pour l’interdiction à tous les niveaux de gouvernement et de celles exercées sur les grands pollueurs plastiques pour qu’ils entament une transition vers le réutilisable. Et le mouvement s’amplifie chaque jour, ici et dans le monde entier.

Si l’équipe de Justin Trudeau entend doter le Canada d’une stratégie zéro déchet de plastique, ce qu’elle doit faire est aussi clair qu’un contenant en verre réutilisable : cesser de nourrir et de subventionner le mastodonte plastique et encadrer solidement l’usage des plastiques jetables qui polluent l’environnement, le climat et nos milieux de vie. Le moment ne pourrait pas être mieux choisi pour encourager le gouvernement à être ambitieux. 

Depuis le début de la crise du Covid-19, le lobby du plastique a été à l’offensive, exploitant la crise sanitaire pour faire avancer son programme pro-pollution. Pourtant, nous savons que nous devons nous affranchir des combustibles fossiles qui modifient le climat et des plastiques polluants. 

Nous sommes dans un moment de transformation. Nous pouvons et devons l’utiliser pour adopter une économie véritablement circulaire et à faible intensité de carbone. Une économie  où les systèmes axés sur le réutilisable, la consigne et les innovations zéro-déchet sont accessibles à tou·tes.

C’est le moment de faire savoir au gouvernement fédéral le type d’avenir que vous souhaitez.