Dire que ce que nous vivons en ce moment est intense serait un euphémisme. Quant à nier que nous réfléchissons toutes et tous à l’après Covid-19, ce serait un mensonge. Nous voyons de plus en plus d’articles mentionner le “retour à la normale”… mais de quelle normalité parlons-nous, voulez-vous bien me dire

Parce que soyons honnêtes, est-ce normal que 2 153 personnes détiennent plus d’argent que 60% de l’humanité? Est-ce normal qu’environ 2 milliards de personnes n’aient pas accès à une alimentation saine dans le monde? Et même à un niveau plus personnel, est-ce vraiment normal que lorsque je me sens bouleversée, je sois envahie par une envie de magasiner?

Le texte de Julio Vincent GambutoPrepare for the Ultimate Gaslighting” m’a beaucoup fait réfléchir à la gigantesque campagne de marketing qui nous attend au tournant de la crise du coronavirus. Parce que clairement, il y a ce que nous considérions comme “normal” avant cette pandémie – et qui ne l’était pas du tout (!!!) – et ce que nous devrions considérer comme normal si nous voulons vivre en harmonie les un·es avec les autres et à l’intérieur des limites de notre planète. Ce sont deux choses bien différentes. 

Chose certaine, les personnes qui bénéficient du système actuel se préparent en grandes pompes à ce “retour à la normale”. Des milliards de dollars sont et seront investis en plans de relance. Les lobbyistes sont et seront à pied d’oeuvre afin d’attirer les fonds publics dans leur cour et nous serons bombardé·es d’incitatifs en tout genre afin de nous convaincre de consommer comme nous le faisions. Nous verrons se déployer sous nos yeux le nec plus ultra en termes de stratégies de communication et ce sera probablement imaginatif, certainement ingénieux. Oui il y aura de la publicité au sens traditionnel du terme, mais il y aura immanquablement bien plus que cela. Comme le mentionnait Gambuto, nous serons inondé·es de memes créatifs, de publications Facebook tentantes, de photos Instagram inspirantes. Ces expert·es ne vous vendront pas un produit – nous ne parlons pas d’amateurs ni d’amatrices ici – ils et elles vous vendront une vision, appuyée par l’idée bien ficelée du “retour à la normale” dans tout ce qu’elle a de plus sexy! Le capitalisme avec un grand C mesdames, messieurs! 

Mais il faut se rendre à l’évidence, nous avons probablement toutes et tous envie de retourner à notre routine que nous aimons tant, à notre “normalité”, plutôt que de rester collé·es à nos écrans, à lire un flot interminable d’articles sur les tragédies humaines causées par la Covid-19. Donc cette proposition de retour à la normale sera probablement réconfortante pour nous. Je me suis donc mise à me poser beaucoup de questions. Quel est le rôle de Greenpeace dans tout cela? Quelle est mon rôle à titre de Directrice des médias? Mais aussi à titre de femme, de travailleuse, de mère, de citoyenne…

Je l’avoue, je ne suis pas différente des autres… j’ai personnellement hâte de retourner à mes cours de yoga et d’aller me chercher un thé chai avant d’arriver au bureau (avec ma tasse réutilisable bien entendu). Notre besoin de sécurité sera réel, et il sera puissant, ce qui nous rendra vulnérables. Qu’y a-t-il de plus sécurisant que de faire ce que nous avons toujours fait? 

Mais que faire quand le “business as usual” est profondément erroné?

La pierre angulaire de notre économie moderne permet aux puissants de ce monde de prendre sans compter et sans penser aux autres. Ceci a notamment permis aux industries extractives de donner la priorité aux profits au détriment des droits autochtones, du climat, de la biodiversité et j’en passe.

Si tout le monde consommait comme les Canadien·nes, nous aurions besoin de 4,8 planètes. Nous n’avons pas ce luxe.

Pourtant, 4 millions de Canadien·nes ont de la difficulté à mettre de la nourriture sur la table, incluant 1.15 million d’enfants. Comment expliquer cette situation alors que le Canada est un pays du G8?

Et voilà que du jour au lendemain ou presque, tout s’est arrêté. Et, l’espace d’une seconde, notre coeur s’est arrêté et nous nous en sommes pris plein la gueule. 

D’aussi longtemps que je me souvienne, nous nous faisons dire que l’économie doit tourner, pour notre bien à toutes et tous. Et nous voilà ici, en pause forcée, nous obligeant à réfléchir à notre façon de vivre, de consommer, de considérer les gens qui travaillent en “première ligne”. De constater les failles de notre système, de considérer les limites de nos filets sociaux, de constater l’étendue des inégalités. Des hôpitaux du monde entier manquent d’équipements. Des médecins sont placé·es devant des choix déchirants. Nous faisons nos adieux à des proches par le biais d’infirmier·ères que nous n’avons même jamais rencontrés. Un nombre incalculable de gens se retrouvent sans emploi et angoissent la nuit dans leur lit en pensant aux factures qui ne cesseront pas, elles, de voyager. Pour un instant, le voile qui couvre normalement ces failles de notre système s’est soulevé. Les images qui frappent notre rétine en ce moment ne sont pas prêtes de s’effacer… et selon moi elles ne le doivent pas. Elles doivent rester gravées et nous pousser vers la meilleure version de nous-même.

Le moment est venu de nous réapproprier les rênes, réparer, réimaginer, repenser, reconstruire, refaire, re-programmer, réinventer… notre monde, notre économie et nous-même. Ne revenons pas à “la normale”. Sautons à pieds joints dans le futur en réimaginant l’univers des possibles, en reprogrammant les règles de l’économie. En réinventant le monde tel que nous le voulons. Et c’est précisément ici que je vois un rôle essentiel pour Greenpeace, et en fait pour chacun d’entre nous.

Nous sommes une génération de créateurs·trices, d’artisan·es, d’innovateurs·trices, de rêveurs, d’artistes, d’activistes, d’éducateurs·trices et de soignant·es, nous avons la capacité de changer les choses. Nous avons vu pendant cette crise la beauté dont nous sommes capables avec l’émergence d’une multitude de mouvements de solidarité. Nous avons le pouvoir d’incarner le changement que nous voulons voir chez nous en choisissant comment nous passons notre temps en famille, ce que nous regardons, écoutons, mangeons, etc. Dans nos communautés à travers les organisations dans lesquelles nous nous impliquons, les histoires que nous partageons et les évènements auxquels nous assistons.

Mais nous pouvons également le faire en tant que société, en votant, en nous impliquant et en exigeant, maintenant, des plans de relance qui nous conviennent. En plaidant pour un nouveau modèle économique. Vouloir plus d’équité, ce n’est pas impossible. Vouloir plus de justesse, ce n’est pas hors d’atteinte. Vouloir une transition verte, ce n’est pas rêver. Il faut par contre être conscient·es de ce qui s’en vient et très clair·es sur ce que nous voulons, et ce ne nous ne voulons plus. Ne laissons pas les dirigeant·es d’entreprises profiter de cette pandémie ou nous enfermer dans un statu quo de consommation excessive.

Aussi terrible qu’est cette crise, et comprenez-moi bien, elle l’est, le retour “à la normale” ne devrait pas être une option. Car nous devons saisir le moment et définir une nouvelle “normalité”.

Et c’est ce nouveau modèle que mes collègues et moi-même aspirons construire avec vous. Je vous invite du coup à partager vos idées de ce qui devrait changer en émergeant de cette crise dans la section de commentaire ci-dessous 👇