Lorsque Mark Carney est devenu premier ministre, une question m’est venue à l’esprit : cet ancien cadre de Goldman Sachs et banquier central peut-il sauver le Canada et le climat?
Et par la suite, j’ai réalisé que je ne me posais pas la bonne question. Pour citer le célèbre militant anti-esclavagiste du XIXe siècle Frederick Douglass : « Le pouvoir ne cède rien sans pression. Il ne l’a jamais fait et ne le fera jamais. »
Nous ne devrions pas compter sur des personnalités politiques comme Mark Carney – ou le chef du Parti conservateur Pierre Poilievre – pour nous tirer d’affaire. Nous devrions plutôt nous demander de quel type d’espace politique nos mouvements populaires disposeront pour faire avancer nos revendications et bâtir un avenir meilleur.
Mark Carney a fait carrière dans la finance, mais il se préoccupe depuis longtemps des changements climatiques et pourrait se laisser convaincre de faire mieux en matière de climat et de justice sociale. En tout cas, nous disposons d’une plus grande marge de manœuvre avec lui qu’avec Poilievre, à en juger par leurs déclarations publiques à ce jour (voir tableau ci-dessous).
Alors que les menaces tarifaires et d’annexion de Trump dominent le paysage politique canadien, l’un des atouts apparents de Carney est son expérience en matière de gestion de crise. Il a été gouverneur de la Banque du Canada pendant la crise financière de 2008 et gouverneur de la Banque d’Angleterre pendant le Brexit. L’efficacité avec laquelle il a géré le krach financier lui a valu d’être sollicité par les gouvernements du G20 pour identifier en amont la source de la prochaine crise financière mondiale potentielle.
Sa réponse? Les changements climatiques.
Il a partagé sa perspective sur la façon dont les changements climatiques menacent la stabilité financière dans son discours de septembre 2015 intitulé Breaking the Tragedy of the Horizon. En tant que président du Conseil de stabilité financière du G20, Carney a créé la Task Force on Climate-related Financial Disclosures (ou Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques) en décembre 2015 et est devenu l’envoyé spécial des Nations Unies pour le financement de l’action climatique en 2019.
La réponse qu’il a proposée – dans le cadre de ses fonctions précédentes de banquier central et d’homme d’affaires – a été de soutenir des mesures volontaires telles qu’une meilleure divulgation des risques climatiques par les entreprises. Le récent exode des banques canadiennes et américaines de la Net-Zero Banking Alliance, une initiative fondée par Carney, sous la pression du Parti républicain américain démontre clairement les limites de ces approches volontaires. Compte tenu du rôle qu’il a joué jusqu’à présent, il sera intéressant de voir comment Carney abordera les enjeux financiers liés au climat au cours de son nouveau mandat de leader politique. Ou du moins, comment il gérera les revendications de la population en la matière.
Comme on pouvait s’y attendre, le programme politique de Carney aborde les changements climatiques de manière plus détaillée que de nombreux autres sujets. Le tableau ci-dessous résume ce que nous savons jusqu’à présent de ses positions politiques (sauf indication contraire, il est basé sur son programme de campagne à la direction du Parti libéral) et les compare à celles de son principal rival, le chef conservateur Pierre Poilievre. Nous réaliserons des comparaisons plus détaillées avec les positions des autres partis après la mise en ligne de leurs programmes électoraux respectifs. Si vous estimez que certaines informations présentées ci-dessous sont inexactes ou caduques, n’hésitez pas à nous le faire savoir dans les commentaires (la situation évolue rapidement).
Enjeu | Mark Carney (Parti libéral) | Pierre Poilievre (Parti conservateur) |
Tarification du carbone pour les consommateur·rices | Annulera la mesure | Annulera la mesure (campagne « Supprimer la taxe ») |
Remise canadienne sur le carbone pour les particuliers | Remplacera la mesure par des incitatifs écologiques destinés aux consommateur·rices et financés par la hausse de la tarification du carbone industriel | Annulera la mesure |
Tarification du carbone industriel | « L’améliorer et la renforcer », tout en protégeant le Canada contre la concurrence déloyale en introduisant un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (c.-à-d. une taxe sur les importations à forte teneur en carbone). | Poilievre a promis son élimination, bien que cette mesure constitue le principal moteur de la réduction des émissions dans le plan climatique actuel du Canada. |
Intégration des considérations climatiques dans les évaluations environnementales des grands projets | Position ambiguë – il a laissé entendre qu’il soutiendrait de nouveaux projets de pipelines, mais parle surtout de projets d’énergie propre. Son programme dit : « Nous utiliserons nos vastes capacités pour devenir une superpuissance de l’énergie propre, en soutenant des projets qui préservent l’environnement tout en respectant les droits et la prospérité des peuples autochtones ». S’engage à « Adopter une réforme fédérale d’octroi de permis et réduire les formalités administratives pour accélérer l’approbation des projets d’énergie propre, y compris les nouveaux développements dans le domaine de la production, du transport, de la distribution et du stockage de l’électricité » et de « Mettre l’accent sur le “comment” plutôt que sur le “pourquoi” dans l’examen des projets, afin de créer un environnement qui privilégie la réalisation de grands projets d’envergure nationale ».Exigera de toutes les autorités réglementaires fédérales, y compris l’Agence d’évaluation d’impact, qu’elles complètent leurs examens des projets d’intérêt national dans un délai de deux ans (contre cinq ans actuellement). | Supprimera la Loi sur l’évaluation d’impact (qui inclut les changements climatiques comme un enjeu à prendre en compte).Dans le cadre de son engagement à soutenir l’expansion rapide de l’industrie pétrolière et gazière, Poilievre a promis de « préparer le terrain pour les pipelines » et de « soutenir les pipelines au sud, au nord, à l’est et à l’ouest ». |
Autres aspects du plan climatique fédéral actuel | Soutient explicitement un fonds pour une croissance propre, les crédits d’impôt à l’investissement, les rénovations énergétiques des bâtiments et les thermopompes, les subventions pour les véhicules électriques et les investissements dans les infrastructures de recharge pour véhicules électriques. Position incertaine concernant l’élimination progressive d’ici 2035 des nouvelles voitures à essence et diesel, le réseau électrique carboneutre ou la Norme sur les combustibles propres. | Éliminera la Norme sur les combustibles propres (laquelle oblige les compagnies pétrolières à réduire la teneur en carbone de l’essence et du diesel qu’elles vendent), le Règlement sur l’électricité propre(qui vise à instaurer un réseau électrique carboneutre d’ici 2035) et la Norme sur la disponibilité des véhicules électriques (qui prévoit l’élimination progressive de la vente de nouvelles voitures à essence d’ici 2035). |
Plafonnement proposé de la pollution par les GES produite par le secteur pétrolier et gazier (la plus grande source de GES au Canada, représentant près d’un tiers des émissions totales du pays) | Son ministre de l’Environnement a affirmé qu’il serait maintenu | S’oppose au plafonnement proposé de la pollution provenant du secteur pétrolier et gazier |
Réglementation sur la finance alignée sur le climat | Entend finaliser et mettre en œuvre la taxonomie de transition vers une finance durable. En faveur de la divulgation obligatoire des risques climatiques par les grandes entreprises. | Pas de position publique, mais les député·es du Parti conservateur ont exprimé leur opposition à ces mesures lors de comités parlementaires. |
Leurs prises de position sur d’autres enjeux politiques ne sont pas aussi précises, mais voici ce que nous savons jusqu’à présent.
Enjeu | Mark Carney (Parti libéral) | Pierre Poilievre (Parti conservateur) |
Hausse proposée du taux d’inclusion des gains en capital | Annulera la hausse | Annulera la hausse |
Droits des personnes queer et trans | Position inconnue | A alimenté les attitudes hostiles envers les personnes trans en refusant de reconnaître qu’il existe plus de deux genres et en promettant d’adopter une législation qui interdirait aux femmes trans de pratiquer des sports féminins et d’utiliser les toilettes et les vestiaires réservés aux femmes |
Plus de précisions suivront… |
Nous espérons que vous tiendrez compte des politiques climatiques de tous les partis lorsque vous choisirez qui soutenir lors des prochaines élections fédérales. Le vote est essentiel au maintien d’une démocratie saine, mais ce n’est pas le seul élément qui compte. Nous vous encourageons également à vous impliquer dans votre communauté et auprès d’organisations d’intérêt public (comme Greenpeace!) en dehors des périodes électorales afin de maintenir la pression sur les élu·es pour les inciter à tenir leurs promesses et à soutenir des mesures plus ambitieuses.