Au Canada, nous assistons à l’instrumentalisation délibérée du terme « woke » par des personnalités politiques comme Pierre Poilievre et d’autres leaders de droite, qui l’utilisent comme un terme fourre-tout pour rejeter les appels à la justice, à l’équité et à la vérité. Ce qui était à l’origine un terme à connotation activiste, notamment au sein des communautés noires et autochtones, a été vidé de son sens et transformé en un mot à la mode péjoratif, souvent utilisé pour discréditer les mouvements légitimes en faveur du changement social.

A mural with a purple and blue background depicting 3 ballerinas wearing pink dresses. The dancers have TVs as heads which each contain one word, spelling out "ARE YOU WOKE?" together.
A mural depicting dancers and the text Are You Woke? by street artist Bona Lisa in Kralendijk.

À la base, la pensée « woke » dénote simplement une prise de conscience de l’injustice, comme en témoigne sa signification littérale qui renvoie à un état d’éveil. On parle ici d’un éveil face aux inégalités systémiques et aux structures d’oppression qui existent dans nos sociétés.

La pensée woke sensibilise aux injustices auxquelles sont confrontées les communautés marginalisées, qu’il s’agisse de l’inégalité raciale, de l’oppression fondée sur le genre, de l’exploitation économique ou de la violence coloniale. Elle nous invite à jeter un regard franc sur le monde dans lequel nous évoluons et à reconnaître la manière dont les structures de pouvoir historiques et contemporaines continuent de brimer les populations déjà opprimées. Elle nous enjoint également d’agir, qu’il s’agisse de manifester notre solidarité avec les défenseur·ses des terres autochtones, de lutter pour la justice climatique, de dénoncer les violences policières commises à l’encontre des communautés noires et racisées ou de défendre les droits et la dignité des personnes trans. La pensée woke est un engagement en faveur du démantèlement des préjudices réels et tangibles résultant de l’oppression systémique.

Or, le terme « woke » est connoté de manière très péjorative dans le discours politique, où il est souvent utilisé pour attribuer aux mouvements en faveur de la justice sociale un caractère radical ou diviseur. Cette interprétation sous-entend que les personnes qui prônent une société plus juste et équitable sont en quelque sorte déconnectées des réalités qui comptent vraiment pour les Canadiennes et les Canadiens. Ce discours tente d’assimiler le rejet du progrès à ce que les gens considèrent, pour reprendre l’expression bien-aimée de Poilievre, comme du « gros bon sens ». En réalité, la lutte pour la justice, l’égalité et la dignité est empreinte de bon sens : elle vise à pallier des problèmes systémiques qui affectent tout le monde, et non pas à maintenir un système qui profite à une poignée d’individus privilégiés.

Rejeter le concept de « woke » en tant que programme politique

Ce qui est particulièrement inquiétant, c’est que la condamnation de la pensée woke n’est pas un simple rejet de certaines causes progressistes, c’est un rejet d’un cadre moral et éthique plus large qui reconnaît l’inégalité et cherche à y remédier. Par exemple, lorsque nous voyons des leaders politiques rejeter les appels à l’action concernant les droits fonciers des peuples autochtones ou s’opposer aux mesures visant à lutter contre la discrimination raciale, derrière leur rejet d’un enjeu précis se trouve le rejet des principes de justice et d’équité qui guident nos efforts pour créer une meilleure société.

Lorsqu’un programme politique entier est fondé sur le rejet de la pensée « woke », cela indique un désir de maintenir le statu quo, où les systèmes d’oppression tels que le colonialisme, le racisme et le patriarcat restent largement incontestés (il convient de noter que ce sont ces mêmes systèmes qui encouragent et favorisent la destruction de l’environnement). En présentant la pensée woke comme une menace, les figures politiques comme Poilievre soutiennent essentiellement que la quête d’une société juste et équitable est en quelque chose dangereuse, et que le fait de reconnaître l’existence de privilèges et de préjudices systémiques constitue une menace pour la cohésion sociale.

Mais en quoi est-il dangereux d’exiger un monde où les gens jouissent tous des mêmes droits et privilèges, indépendamment de leur race, de leur genre ou de leur identité? Et n’est-ce pas précisément le monde que nous voulons?

The picture shows an installation made in the grass, from a birds eye view. The installation spells out the words "RISE FOR CLIMATE JUSTICE", the words surrounding the image of a bird. The bird has its wings spread out, and contains blue in the wings and some red on the body, as well as a bit of orange on the beak.
Artist John Quigley creates an iconic visual message themed, Hummingbird Rising: Human Mandala for Climate Justice!

En défense de la pensée woke

Lorsqu’un programme politique est articulé autour du rejet de la pensée woke, nous risquons d’encourager une société qui ferme délibérément les yeux sur les injustices. Nous créons une culture où les conversations critiques sur la race, le colonialisme et les privilèges sont mises en sourdine et où les systèmes qui perpétuent les préjudices ne sont pas remis en question. Ce mépris de la pensée woke ne se limite pas au rejet d’un simple terme : il cherche à nous garder dans l’ignorance afin de permettre aux discours et aux structures de pouvoir néfastes de persister en toute impunité. Il positionne les mouvements pour la justice sociale comme quelque chose d’indésirable, dépeignant en fin de compte la quête de l’équité comme un effort qui divise, voire qui n’est pas canadien.

Cette approche est contraire à l’intérêt général. En dénonçant la reconnaissance de l’injustice, nous nous rendons complices de la perpétuation des préjudices. Nous ne pouvons pas nous permettre de fermer les yeux sur les enjeux de violence raciale, de discrimination sexuelle et de dévastation environnementale qui continuent d’affecter les communautés marginalisées. Lorsque nous rejetons la pensée woke, nous rejetons la notion même de justice, qui nous tient pour responsables de nos actes et nous encourage à faire mieux.

A mural with the text Stay Wake made by street artist Bona Lisa in Kralendijk.

Prenons le temps de réfléchir à la signification réelle du terme « woke ». Au fond, il s’agit d’un appel à l’action, qui n’a rien à voir avec la supériorité morale ou la culture du politiquement correct. Il invite à reconnaître les expériences vécues de celles et ceux qui ont été mis à l’écart et à s’unir pour bâtir une société plus juste et plus inclusive. Au lieu de laisser les personnalités politiques l’instrumentaliser et le brandir comme une arme, récupérons-le comme symbole de notre engagement à combattre l’injustice et à lutter pour un changement réel et systémique.

Je vous invite à vous poser la question : Dans quel type de monde voulons-nous vivre? Voulons-nous une société où l’on ferme les yeux sur l’injustice systémique, ou une société où l’on aborde ces problèmes sans détour dans une optique de compassion, de responsabilité et de véritable recherche d’équité? Rejeter la pensée woke, c’est rejeter les valeurs qui sous-tendent la justice sociale. Il est temps pour nous d’en finir avec la rhétorique politique et de jeter les bases d’un Canada où la justice, la vérité et l’équité ne sont pas que des mots, mais une réalité pour l’ensemble de nos communautés.

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