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7 octobre 2020

Plan secret de l’industrie pour éliminer la Norme sur les combustibles propres : « La lutte contre les changements climatiques est une cause perdue d’avance »

Montréal – Greenpeace Canada a mis la main sur un document de stratégie confidentiel visant à affaiblir l’appui à la Norme sur les combustibles propres (NCP) proposée par le gouvernement fédéral. Cette stratégie de campagne anti-NCP vise à convaincre la population canadienne qu’il est inutile d’augmenter le prix de l’essence pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, parce que « la lutte contre les changements climatiques est une cause perdue d’avance ».

« Les organisations et les individus impliqués dans cette campagne devraient faire un sérieux examen de conscience, affirme Patrick Bonin, responsable de la campagne Climat-Énergie de Greenpeace Canada. Il est totalement révoltant de constater cette stratégie de l’industrie et de ses partenaires qui souhaitent convaincre la population que “la lutte contre les changements climatiques est une cause perdue d’avance”. Proposer de miner la lutte climatique et plomber les solutions potentielles, c’est le comble de la bassesse. 

Le document de stratégie intitulé Canadians for Fairness in Clean Fuel Policy a été rédigé en janvier 2018 par l’agence de relations publiques Navigator, qui se dépeint comme « la première entreprise canadienne de gestion d’enjeux et de communication stratégique » et a pour marque de commerce le slogan « Quand vous ne pouvez pas vous permettre de perdre ». Sans nommer spécifiquement le client de Navigator, le document propose de créer une coalition anti-NCP et d’élargir celle-ci au-delà de l’industrie pétrolière (broader than Big Oil) en y invitant des associations professionnelles, des compagnies, des groupes de réflexion, des groupes de travailleurs et des membres de l’opposition conservatrice. Le document propose aux acteurs industriels de jouer un rôle secondaire plutôt qu’un rôle de premier plan, afin que l’industrie manifeste sa présence de manière organique sans que ses efforts n’aient l’air orchestrés (voir note d’information ci-dessous).

« Cette stratégie et les efforts anti-NCP qui ont été déployés depuis deux ans sont une preuve accablante que l’opposition ne souhaite pas modifier la Norme sur les combustibles propres, mais veut plutôt sournoisement la faire dérailler. L’industrie fossile et ses partenaires s’agitent en coulisses et refusent encore de faire le strict minimum, alors que tout le monde doit en faire davantage pour réduire ses émissions », ajoute Patrick Bonin.

Suites aux pressions politiques exercées par l’Association canadienne des producteurs pétroliers au mois de mars, le gouvernement fédéral a retardé la mise en œuvre  de la Norme sur les combustibles propres. Cette norme exigerait notamment que les carburants comme l’essence et le diesel polluent moins. De nouvelles propositions réglementaires sont attendues cet automne.

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Pour plus d’informations, veuillez contacter :

Laura Bergamo, Conseillère aux communications, Greenpeace Canada

+1 (438) 928-5237 ou [email protected]

CONTEXTE – NOTE D’INFORMATION

Le document de stratégie Canadians for Fairness in Clean Fuel Policy strategy comporte trois volets principaux :

  1. lancer une « contre-attaque » après la publication du projet de règlement;
  2. établir une coalition « plus vaste que celle des grands groupes pétroliers » afin que le message de la campagne soit véhiculé par davantage de voix; et
  3. Favoriser la « reconnaissance que la lutte contre les changements climatiques est une bataille perdue d’avance » en convainquant l’opinion publique que les coûts liés à la NCP ne sont pas justifiés.
[Traduction libre de la capture d’écran ci-dessus présentant les trois principaux volets de la stratégie développée par Navigator (voir p. 17 de la stratégie)]

Suite de la stratégie
1. Reconnaître que la pression requise pour porter cette question à l’attention du public demandera un large soutien
– Besoin d’accroître la conscientisation entre-temps
– Une stratégie de contre-attaque devrait être utilisée : permettre au gouvernement d’annoncer son projet de NCP, profiter de cette période pour organiser discrètement une réaction initiale forte sur ce projet, suivie immédiatement d’une campagne continue contre cette mesure
– Il y a plus à gagner à exprimer une opposition forte sur la proposition de réglementation plutôt que d’essayer d’aborder un sujet peu connu
– Si une campagne d’opposition était menée, le gouvernement serait en mesure de répondre à tous les messages de la campagne·

2. L’opposition contre la NCP s’étend au-delà des compagnies pétrolières
– Faire appel à des parties prenantes diverses pour soutenir la campagne afin d’aider à démontrer de l’opposition
– L’industrie et les autres parties prenantes devraient communiquer leurs préoccupations
– Il faudrait mettre l’accent sur les estimations de coûts et sur la complexité de relever ce défi, tout en contrebalançant avec le désir de faire sa part de manière juste et raisonnable 

3. Se rendre compte que la lutte contre les changements climatiques est une bataille perdue d’avance. Présenter des arguments à propos: – des coûts pour tous les Canadiens
– des pertes d’emplois pour les Canadiens
– du fardeau financier des mesures “vertes” pesant sur la classe moyenne
– des défis rencontrés par les autres pays qui en font moins
– du fait que l’Industrie a besoin de soutien, pas qu’on lui mette des bâtons dans les roues

La campagne propose une stratégie astucieuse, mais trompeuse. Les participants sont invités à soutenir les objectifs généraux du plan du gouvernement fédéral sur les changements climatiques (« Soutenir discrètement le programme du gouvernement sur les changements climatiques », page 18) tout en s’opposant à une mesure essentielle qui permettrait d’atteindre ces objectifs (page 4, le document de Navigator reconnaît que la Norme sur les combustibles propres représente « le plus gros morceau de la stratégie de réduction du carbone [du gouvernement fédéral] »).

La campagne aurait recours à des arguments relatifs au coût pour éliminer (et non modifier) la Norme sur les combustibles propres, tout en minimisant la possibilité/ l’opportunité de lutter contre les changements climatiques en général :

« Engager une discussion avec le gouvernement sur les éventuelles stratégies alternatives exigera la mise en place d’une campagne spécifique afin d’amorcer un dialogue sur des questions comme :

●  la viabilité financière

●  les conséquences économiques et

●  l’impact (global) incertain » (page 8)

Preuves du déploiement de cette stratégie

Plusieurs éléments démontrent que cette stratégie a déjà été déployée. Dans le document, Navigator indique qu’il a déjà « mobilisé des joueurs industriels clés » et « trouvé un soutien solide pour mener des activités nuancées de lutte contre la NCP, tout en maintenant un positionnement juste et raisonnable, et une forme de reconnaissance de la science des changements climatiques » (page 5). Navigator a également « mené un programme de recherche qualitative pour mieux comprendre les attitudes, les opinions et les croyances relatives aux politiques environnementales des électeurs vivant dans des circonscriptions pivots [swing ridgins] dirigées par les Libéraux. »

Le tableau ci-dessous compare des éléments de la stratégie de 2018 de Navigator avec ce qu’il s’est passé depuis.

Que contient la stratégie de Navigator?Que s’est-il passé?
La stratégie propose d’avoir recours aux associations industrielles afin de véhiculer les messages de la campagne (plutôt qu’ils soient endossés directement par les compagnies pétrolières).Les associations industrielles sont également identifiées comme des parties prenantes pouvant « s’impliquer et s’organiser afin de motiver et de mobiliser ».Le site web des Manufacturiers et Exportateurs du Canada indique : « Nous avons également créé une coalition sur la NCP, et il existe différentes opportunités  pour y prendre part. »La Chambre de commerce du Canada a lancé une campagne publique contre la Norme sur les combustibles propres demandant aux « Canadiens soucieux de l’environnement de contacter leurs députés ».L’Association canadienne des carburants et l’Association canadienne de l’industrie de la chimie se sont prononcées contre la NCP.De même, l’Association canadienne des producteurs pétroliers (ACPP) s’est opposée à la NCP lors de sa campagne électorale de 2019 (voir son communiqué de presse ainsi que sur sa plate-forme Vote énergie qui dit vouloir « Retirer dans son intégralité la proposition de Norme sur les combustibles propres (NCP) ». En mars 2020, l’ACPP a également appelé à suspendre l’élaboration de cette réglementation et à retarder sa mise en œuvre (de 2022 à 2025).
La stratégie numérique suggère d’utiliser le site web, les comptes Twitter et Facebook du groupe Canadians for Affordable Energy (CAE), afin d’« établir une présence en ligne pour rassembler une large coalition d’intérêts » et d’« interagir avec les Canadiens réceptifs là où ils se trouvent : en ligne. »Le site web ainsi que les comptes Twitter et Facebook du groupe Canadians for Affordable Energy (CAE) sont antérieurs à la proposition de Navigator (le CAE a été créé en 2016). Toutefois, le CAE attaque régulièrement la Norme sur les combustibles propres. Le site web du CAE ne mentionne le nom d’aucun membre ni d’aucun soutien financier, mais a dépensé des milliers de dollars en publicités sur Facebook en s’en prenant à la Norme sur les combustibles propres. Le 6 octobre, le CAE a publié un rapport endossant les principaux messages contenus dans la stratégie de Navigator, message qui est actuellement amplifié par Energy Citizens, le groupe de façade utilisé par l’Association canadienne des producteurs pétroliers.La Chambre de commerce du Canada a créé la page « Norme meilleure pour les carburants » incitant les Canadiens à contacter leur député pour leur dire que : « Aujourd’hui plus que jamais, augmenter le prix des carburants de 30 %, ce qui ajouterait des coûts de 15 milliards de dollars par an, n’est pas la voie à suivre pour aider les Canadiens ou notre monde naturel. »
La stratégie recommande Benjamin Dachis (Directeur adjoint de la recherche de l’Institut C.D. Howe) pour porter ce message.Le 19 juillet 2018, l’Institut C.D. Howe a publié en ligne le rapport intitulé « Speed Bump Ahead: Ottawa Should Drive Slowly on Clean Fuel Standards » [Attention, dos d’âne : Ottawa devrait prendre son temps avec les normes sur les carburants propres]. Benjamin Dachis, qui en est l’auteur, fournit ces conclusions :« Une norme sur les combustibles propres pourrait avoir un coût économique important par rapport à la tarification des émissions à proprement dit, en particulier dans les secteurs touchés par les échanges mondiaux [trade-exposed sectors] et ceux à haute intensité énergétique… Avant de mettre en œuvre cette mesure, Ottawa devrait expliquer pourquoi le Canada a besoin d’une NCP en plus de la taxe sur les émissions. À moins d’en avoir clairement déterminé la raison, Ottawa devrait freiner son projet de NCP. »Le jour même où l’Institut C.D. Howe publiait son rapport, les Manufacturiers et Exportateurs du Canada délivraient eux-mêmes un communiqué de presse indiquant que les Manufacturiers et exportateurs canadiens font écho aux avertissements de l’Institut C.D. Howe concernant la Norme sur les combustibles propres.
Une autre personne portant ce message est Andrew Scheer.Le 8 juillet 2019, Andrew Scheer a envoyé une lettre ouverte au Premier Ministre Trudeau dans laquelle il qualifiait de « taxe secrète » les nouvelles normes sur les combustibles propres.
Quant à la Compagnie pétrolière impériale, elle est présentée comme un « homologue dans le secteur industriel » pouvant fournir une « contribution financière » et « un avis coordonné et modéré ».Le PDG de la Compagnie pétrolière impériale, Rich Kruger, a dénoncé publiquement la NCP, et Ia compagnie a fait régulièrement pression sur le gouvernement fédéral pour affaiblir ou retarder cette mesure (document de l’AIPRP).
Mobiliser les ONG et les groupes de réflexion, comme l’Institut économique de Montréal (IEDM), pour qu’ils parlent de la NCP et de son coût pour les ménages.En septembre 2020, l’IEDM a publié un rapport intitulé La NCP : Une mesure qui va nuire à la relance économique du Québec. Le rapport utilise des termes comme « l’effet boule de neige » des coûts imposés par la réglementation, notamment pour les consommateurs. Cette terminologie est quasiment identique à celle utilisée dans la stratégie de Navigator dont les recommandations invitent à « se concentrer sur les coûts à effet boule de neige ».

Chronologie de la NCP

Cette chronologie s’appuie sur les données du site web d’Environnement Canada, du rapport de Navigator et des éléments mentionnés dans le tableau ci-dessus.

●   Août 2016 – La Ministre McKenna informe les représentants de l’industrie pétrolière que le Canada va réglementer la teneur en carbone des combustibles par le biais d’une norme axée sur le rendement.

●   Novembre 2016 – Avis officiel d’intention de réglementer les combustibles.

●   Décembre 2016 – Le Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques annonce que : « Le gouvernement fédéral collaborera avec les gouvernements provinciaux et territoriaux ainsi qu’avec l’industrie et d’autres intervenants afin d’élaborer une norme sur les carburants moins polluants visant à réduire les émissions liées aux carburants utilisés dans les secteurs du transport, de la construction et des industries. »

●   Décembre 2017 – Le Cadre de réglementation pour la NCP établit des exigences distinctes entre les combustibles liquides (80 % du transport), solides et gazeux. Environnement Canada met en place un comité consultatif multipartite composé de représentants d’associations industrielles clés, d’universités, d’organisations non gouvernementales de l’environnement, des gouvernements provinciaux et territoriaux et d’autres ministères fédéraux.

●   Janvier 2018 – Navigator transmet la stratégie de sa campagne anti-NCP à ses partenaires potentiels.

●   Juillet 2018 – Campagne de « contre-attaque » des industriels (publication du rapport de l’Institut C.D. Howe immédiatement endossé par les Manufacturiers et Exportateurs du Canada; le chef du parti conservateur fédéral attaque la NCP).

●   Automne 2018 – Environnement Canada crée le groupe opérationnel de la Norme sur les combustibles propres chargé des secteurs touchés par les échanges mondiaux [trade-exposed sectors] et de ceux à haute intensité énergétique afin de « mieux comprendre leurs préoccupations et d’examiner des options pour atténuer les répercussions sur leur compétitivité tout en atteignant l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 2030 fixés dans la Norme. »

●   Décembre 2018 – Le Document de conception réglementaire de la NCP « scinde » le processus réglementaire en deux, avec une publication dans la Partie I de la Gazette du Canada (CG1 – le projet de règlement) en 2019 et une publication dans la Partie II de la Gazette du Canada (CG2 – le règlement final) en 2020 (pour les combustibles liquides uniquement). L’entrée en vigueur reste prévue pour 2022 (liquides). L’application de la législation sur les combustibles gazeux/solides est prévue pour 2023 (CG1 : « fin 2020 » / CG2 : « 2021 »).

●   Juin 2019 – Le document Norme sur les combustibles propres : Approche réglementaire proposée est publié pour un examen approfondi.

●   Avril 2020 – Le Gouvernement du Canada annonce un calendrier de publication révisé (pour les combustibles liquides) en raison de la COVID-19. La publication du projet de règlement (CG1) pour les combustibles liquides prévue au printemps 2020 est reportée à l’automne 2020. Publication CG2 prévue pour fin 2021, et entrée en vigueur prévue 6 mois après la CG2 (c’est-à-dire au milieu de 2022). Pour les combustibles gazeux/solides, « le calendrier sera semblable à celui de la réglementation sur le groupe des combustibles liquides, à un an d’intervalle ».

●   Juin 2020 – Mise à jour de la NCP selon les éléments de l’Approche réglementaire proposée, retardant encore la réduction des émissions de GES. La nouvelle approche autorise des émissions plus élevées la première année (2022) mais compense les années suivantes : pour 2022, l’exigence de réduction de l’intensité de carbone baisse de 3,6 g à 2,4 g/MJ, mais l’exigence de réduction de l’intensité de carbone en 2030 augmente de 10 g à 12 g CO2e/MJ.