Ces dernières années, le prix de la pomme de terre a explosé dans nos supermarchés. Un nouveau rapport de Greenpeace montre comment en Belgique, une petite poignée d’entreprises actives dans le business de la patate a surfé sur cette envolée, faisant augmenter ses profits de manière colossale. [1] Le monde agricole, lui, est resté sur le carreau, et supporte tous les risques à l’instar de la météo très humide de ces derniers mois et ses désastreuses conséquences sur les cultures de pommes de terre. 

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Le nouveau rapport de Greenpeace Belgique détaille les rouages du secteur de la pomme de terre en Belgique et pointe du doigt l’asymétrie flagrante qui existe entre les bénéfices générés par quelques entreprises actives dans l’achat et la transformation de la pomme de terre d’un côté, et les minuscules revenus des agriculteur·rices de l’autre. En Belgique, sept entreprises – qui transforment les pommes de terre et les exportent dans le monde entier – contrôlent environ 90 % du marché. [2]

« La pomme de terre, qui est l’icône de l’agriculture belge et un des ingrédients de base de notre alimentation, est devenue ces dernières décennies le symbole de l’industrialisation sans fin de notre agriculture et de la relation déséquilibrée qui en en découle entre le monde agricole et l’agro-industrie », explique Albane Aubry, chargée de campagne agriculture chez Greenpeace Belgique. « Dans notre pays, une poignée de grandes entreprises de l’agro-alimentaire fixent les règles du marché, au détriment des agriculteur·rices, des consommateur·rices et de l’environnement. Elles réalisent des profits colossaux, tout en poussant les agriculteurs à s’enfoncer de plus en plus dans la pauvreté.” 

Chiffres clés du rapport [3]

Le chiffre d’affaires des 7 plus grandes entreprises actives dans la pomme de terre en Belgique (‘Big 7’) a bondi de 44 % entre 2021 et 2022, pour atteindre un total de 3,4 milliards d’euros. 

Le bénéfice d’exploitation du Big 7 a été multiplié par près de 15 (+1444 %) entre 2021 et 2022, passant de 25 millions d’euros en 2021 à 387 millions d’euros en 2022.

En 2022, le volume de pommes de terre transformées a augmenté de 18 % par rapport à l’année record 2019. Dans le même temps, la valeur ajoutée nette du Big 7 a augmenté de 132 % et ses bénéfices d’exploitation de 1380 %. Le chiffre d’affaires et les bénéfices ont donc augmenté bien plus que les volumes transformés et les prix des matières premières, ce qui suppose une utilisation de l’inflation comme levier pour améliorer les marges bénéficiaires de manière disproportionnée.

Ces augmentations des bénéfices de l’industrie reflétaient également les prix payés par les consommateur·rices, qui ont vu le prix des pommes de terre augmenter de 61 % depuis 2015, et le prix des frites surgelées de 51 % rien qu’en 2022.

Les agriculteur·rices voient leurs marges se réduire en raison des conditions météorologiques difficiles et de l’augmentation des coûts, avec une légère baisse du prix moyen des contrats pour la saison de pommes de terre 2022 par rapport à 2021.

En Belgique, les agriculteur·rices qui vendent leurs pommes de terre le font via deux canaux : les contrats fixes (entre 70 et 75% des ventes) et le marché libre. Si dans le cadre de contrats fixes, les agriculteur·rices peuvent se reposer sur des accords prédéfinis avant la production, ils·elles supportent en revanche tous les risques en cas de mauvais rendements agricoles, par exemple en raison de mauvaises conditions météorologiques, comme c’est le cas en ce moment. Le marché libre repose quant à lui sur un prix d’achat au kg fixé chaque semaine par les industriels et les grossistes de la pomme de terre, par l’intermédiaire de Belgapom [4], fluctuant en fonction de l’offre et la demande. 

“Dans les deux cas, les agriculteur·rices se retrouvent pris·es au piège d’un système sur lequel ils·elles n’ont que très peu d’influence, qui limite leur autonomie et leur stabilité financière”,  poursuit Albane Aubry. “Cela les amène dans une recherche permanente d’efficacité et d’agrandissement, et à recourir à l’utilisation intensive de pesticides, ce qui dégrade paradoxalement les ressources naturelles essentielles à la viabilité de leur activité.”

Régulation et plan de soutien au monde agricole

Greenpeace exige que le pouvoir des agriculteur·rices dans les négociations commerciales soit renforcé, et qu’un arbitrage par nos autorités permette une fixation des prix de la pomme de terre afin que ceux-ci reflètent les véritables coûts de production du monde agricole, tout en limitant les marges abusives de l’agro-industrie et de la grande distribution.

“Les gouvernements compétents doivent par ailleurs de toute urgence bâtir un plan de soutien au monde agricole qui lui permette d’évoluer vers un modèle agro-écologique, et d’abandonner les pesticides et les engrais synthétiques” conclut Albane Aubry. « Il est essentiel que nous dépassions la fausse dichotomie entre la viabilité financière des agriculteur·rices et l’environnement. Pour qu’il soit durable, notre système alimentaire doit évoluer, afin de respecter à la fois les agriculteur·rices et l’environnement, en particulier à mesure que la crise climatique s’intensifie. »

Notes 

[1] Le rapport complet ‘Record profits for the industry and peanuts for farmers’ est à retrouver ici (en anglais). Résumé exécutif ici (en français).

[2] Clarebout Potatoes, Agristo, Lutosa, Mydibel, Ecofrost, Farm Frites Belgium et Aviko Belgium contrôlent ensemble 87 % du marché belge de la pomme de terre.

[3] Les données proviennent des comptes annuels des entreprises concernées, collectées par la Banque nationale. 

[4] Belgapom est l’organisation professionnelle officielle qui représente la voix du commerce et de l’industrie de transformation de la pomme de terre en Belgique.