Parmi les  réponses à la crise sanitaire du COVID-19, la dimension spatiale est largement sous-estimée. Pourtant, notre cadre de vie et nos villes ont été conçus au fil des siècles comme une forme de “vaccin spatial”. Un cadre de vie sain est défini par des normes, des règles et des plans. Des équipements de base sont disponibles collectivement et individuellement et les parcs, places et espaces verts assurent la santé socio-émotionnelle. Au cours des dernières semaines, il est apparu évident que les quartiers denses manquent d’espace pour pouvoir respecter la distanciation physique. Des mesures locales sont prises çà et là, mais une feuille de route nationale manque cruellement*.

Stratégie de sortie pour une meilleure mobilité après la crise du coronavirus

Malgré les mises en garde contre un problème de mobilité imminent, la stratégie de sortie a été  élaborée sans tenir compte des implications spatiales. La Première Ministre Sophie Wilmès a demandé que les transports publics soient évités le plus possible et que la voiture soit utilisée comme alternative. Les modes actifs n’ont pas été privilégiés et n’ont été que brièvement mentionnés. L’attention limitée portée à l’urbanisme et à l’aménagement du territoire apparaît également clairement lorsque l’on examine la composition du GEES. Les urbanistes y font défaut et les ministres de la mobilité et de l’environnement restent eux aussi complètement à l’écart. Les groupes de travail qui les accompagnent sont composés d’économistes et d’entrepreneurs. 

Pourtant, la question se pose  de savoir comment une reprise économique peut être mise en place sans prendre en compte le transport des personnes et des marchandises.

Les images du trafic congestionné après le redémarrage dans les villes chinoises sont un premier signe de ce qui arrive si nous ne prenons pas de mesures fortes pour décourager l’utilisation de la voiture. Il est important de noter que les routes encombrées ne sont pas seulement un problème de mobilité, mais qu’elles génèrent une chaîne d’effets négatifs dans plusieurs domaines : la santé, l’économie, la qualité de vie et la sécurité routière.

La mobilité est avant tout une question de santé publique. En Europe, la pollution atmosphérique est à l’origine d’environ 500 000 décès prématurés par an, dont 9 300 en Belgique. Les valeurs recommandées par l’OMS pour les particules fines sont dépassées dans une grande partie de la Belgique. La valeur limite européenne pour le dioxyde d’azote n’est pas respectée dans les endroits où la circulation est dense. Pourtant, cette valeur limite est juridiquement contraignante et les différentes autorités de notre pays sont déjà poursuivies en justice pour leur approche laxiste concernant l’amélioration de la qualité de l’air. Il est donc difficile de comprendre pourquoi la crise sanitaire du coronavirus est combattue sans prendre en compte cet autre problème de santé, beaucoup plus insidieux et tout aussi mortel. De plus, des études (non-vérifiées par des pairs) montrent que la pollution atmosphérique peut affaiblir un patient face au virus et augmenter le risque d’en mourir. Un redémarrage imprudent en termes de mobilité risque d’augmenter la mortalité lors de la prochaine vague de Covid-19.

Ensuite, la mobilité est en lien direct avec l’économie. Un redémarrage efficace de l’économie nécessite un accès facile aux commerces, aux entreprises et aux bureaux. Dans une ville comme Bruxelles, il y a en moyenne 5,4 millions de trajets par jour, dont 35% en transports publics. La circulation automobile est déjà fortement perturbée un jour de travail normal. Si 1,9 million de trajets supplémentaires sont effectués en voiture après la sortie de crise, le risque de congestion totale du trafic est inéluctable. 

La mobilité détermine également la qualité de vie dans l’espace public.  La ville perd bon nombre de ses atouts pendant le confinement, tels que les nombreux événements culturels, les bars et terrasses animés et la diversité des magasins. Mais le lockdown signifie aussi moins de voitures et offre littéralement de l’espace en plus aux habitants confinés chez eux avec des enfants, dans une petite maison sans jardin ni terrasse. Les semaines de quarantaine exigent des efforts particuliers pour beaucoup d’habitants de nos villes. Il n’est donc pas souhaitable que l’espace public soit à nouveau occupé unilatéralement par la voiture.

Enfin, la sécurité routière fait défaut en Belgique. Lorsque les écoles rouvriront le 18 mai, de nombreux enfants se retrouveront à nouveau sur le chemin de l’école aux heures de pointe. Globalement, les accidents de la circulation sont devenus la première cause de décès chez les 4 à 25 ans. Le paradoxe est que le manque de sécurité routière encourage de nombreux parents à amener leurs enfants à l’école en voiture, ce qui les amène à eux-mêmes entretenir cette insécurité routière. Ce cercle vicieux menace de se transformer en spirale négative si désormais la voiture est également présentée comme le moyen de transport le plus sûr pour faire face au  coronavirus, au détriment du transport public

Ces quatre arguments démontrent que le Conseil National de Sécurité doit prendre en compte la question de la mobilité lors de l’élaboration de la stratégie de sortie, avec l’aide d’experts en mobilité, d’urbanistes et d’aménageurs du territoire. Nous formulons ici déjà deux recommandations.

Tout d’abord, la communication du Gouvernement fédéral doit souligner l’utilisation active de nos rues comme premier choix, pour ainsi suivre la ligne directrice de l’OMS qui dit que « chaque fois que cela est possible, il faut envisager de faire du vélo ou de marcher ». Il est nécessaire que le Gouvernement fédéral appelle clairement à préférer les modes de transport actifs à l’utilisation de la voiture individuelle. Il s’agit d’une mesure qui a un impact positif sur la santé grâce à l’exercice physique et qui contribue à limiter la propagation du virus. Dans le même ordre d’idées, les transports publics ne peuvent pas être stigmatisés, mais il est plutôt nécessaire d’appeler à utiliser les transports publics de manière sûre.

Deuxièmement, le Gouvernement doit rédiger des lignes directrices pour permettre la distanciation physique dans l’espace public. Il s’agit notamment d’augmenter la capacité des pistes cyclables et des trottoirs, d’éliminer les chaînons manquants dangereux et de relier le réseau express vélo aux réseaux cyclables des villes et des communes. Des parkings ‘Car&Bike’ en périphérie des villes sont nécessaires pour accueillir le trafic provenant de l’extérieur de la périphérie directe. La création de woonerfs, de zones de rencontre, de zones piétonnes et de filtres bien réfléchis peut réduire considérablement l’impact du trafic des navetteurs sur la ville et améliorer considérablement la qualité de vie. L’engagement en faveur des équipements de proximité et de la proximité locale encourage les gens à se déplacer à pied ou à vélo. Supprimer les places de parking devant les magasins ou rendre les rues commerçantes piétonnes permet de ne pas devoir choisir entre la santé et la sécurité routière quand les files d’attente sur les trottoirs s’imposent. 

Dans la stratégie de sortie, de nombreuses décisions sont prises sans étudier l’impact spatial.

Le Covid-19 bouleverse les équilibres existants, ce qui amène la population à se comporter et à se déplacer différemment. Ce changement de paradigme mérite une gestion spatiale rapide et décisive qui permette d’éviter le chaos et donne à l’économie et à la société toutes les chances de bien redémarrer.

*Cette carte blanche au conseil national de sécurité a été signée par Greenpeace ainsi que par un groupe important d’experts en mobilité, de scientifiques et de médecins. Elle a précédemment été publiée dans Le Soir et De Standaard.