C’est le thème de l’écoféminisme qui a réuni Philsan Osman, Rachida Aziz et Joanna Maycock le jeudi 2 mars dans les bureaux de Greenpeace Belgique. Organisée à l’approche de la journée internationale des droits des femmes de ce mercredi 8 mars, cet événement est l’occasion pour nous d’exprimer notre solidarité avec toutes les femmes en appelant à la fin des violences à l’encontre de notre terre et de ses habitantes. Cette table ronde était modérée par la militante Chloé Mikolajcak et diffusée en direct sur nos différentes plateformes. Vous pouvez revoir l’entièreté de l’échange sur notre page YouTube. Nous reparcourons ici certaines questions posées à nos invitées avec quelques extraits vidéos choisis par nos soins. 

March for Women’s rights – 8 March 2022 © Yasmina Guerma / Greenpeace

Unir nos forces et nos mouvements

Les questions environnementales sont intimement liées aux questions de justice sociale, y compris l’inégalité des sexes. Il est en effet clair depuis longtemps que les femmes et les filles du monde entier sont les plus durement touchées par les conséquences du dérèglement climatique, et les plus vulnérables à la pénurie d’eau, la déforestation et l’insécurité alimentaire. En reconnaissant les liens entre les différentes formes d’oppression et en reliant la lutte contre l’exploitation de la planète à la lutte contre l’exploitation des personnes, nous pouvons unir nos forces et nos mouvements et construire un contre-pouvoir plus efficace et plus fort pour accélérer la mise en œuvre des changements dont nous avons besoin pour faire de notre planète un meilleur endroit pour tou·tes. L’écoféminisme est ainsi l’un des points d’entrée pour devenir plus inclusif, plus diversifié et plus intersectionnel.

Philsan Osman, Rachida Aziz et Joanna Maycock, réunies autour du thème de l’écoféminisme, le jeudi 2 mars dans les bureaux de Greenpeace Belgique. Modératrice: Chloé Mikolajcak.

Écoféminisme, dites-vous !?

Que veut-on dire par “écoféminisme” ? D’un point de vue général et plus théorique, l’écoféminisme peut être défini comme une philosophie féministe et environnementale qui voit un lien entre l’oppression des femmes et l’exploitation du monde naturel, les deux étant perçus comme passifs et subordonnés. Pour Philsan Osman, l’écoféminisme est davantage une question de pratique que de théorie. C’est une pratique basée sur l’attention, le soin. Prendre soin de soi, de sa communauté et de sa planète. Il s’agit de mettre en œuvre des idées de révolution, d’intersectionnalité, d’écologie et la façon dont nous faisons tout cela entres communautés.  

Philsan Osman

Philsan Osman @o_philsan est coautrice du livre Voor Wie Willen We Zorgen? Ecofeminisme als inspiratiebron (EPO 2021). Elle étudie les langues et les cultures africaines à l’université de Gand et est bénévole pour le Black History Month Belgium et l’ASBL Burgerplicht. Elle écrit également pour le magazine féministe digital Spijker Magazine. Philsan est originaire de Somalie. Elle est autrice, activiste et community builder.

Joanna Maycock : L’écoféminisme, c’est transformer le pouvoir en un pouvoir qui est collectif et inclusif. Le pouvoir qui est en nous. Un pouvoir dont la ligne directrice est le soin, l’attention, par opposition à la violence.

Joanna Maycock

Joanna Maycock @joanna.maycock possède 30 ans d’expérience dans des fonctions de direction au sein de la société civile européenne et internationale. De 2014 à 2021, elle a occupé le poste de secrétaire générale du Lobby européen des femmes (LEF), la plus grande organisation d’associations (pas moins de 2000 !) féministes non gouvernementales dans l’UE qui se mobilisent ensemble pour une Europe féministe. En 2019, Joanna a été nommée dans le Top 100 Most Influential People in Gender Policy d’Apolitical.

Rachida Aziz : Le mot éco-féminisme signifie qu’il y a une volonté de faire mieux, de faire différemment, d’opérer un changement radical, mais par ailleurs nous sommes limités dans la conceptualisation de ce que cela signifie. Nous utilisons un mot qui n’est pas inclusif. Toutes celles qui ne s’identifient pas comme des femmes ne sont pas mentionnées dans le concept. Dans notre contexte local, les organisations qui utilisent ce terme pour l’instant sont des “institutions blanches”. “Ecoféminisme” n’est pas un terme que j’ai rencontré dans mon expérience de terrain. Pourtant, c’est aussi une expérience qui tend à être intersectionnelle, parce que ses composantes étaient intersectionnelles. Nous étions noirs et bruns, queer, préoccupés par le climat, et nous voulions briser le patriarcat capitaliste. Aujourd’hui, on demande à la base de s’approprier un terme qui est proposé top-down.

Rachida Aziz

Rachida Aziz @rachida_nzhsv crée et fédère des communautés et des mouvements. Ses réflexions continues portent sur l’intersectionnalité des luttes. Elle développe des stratégies pour influencer le processus de création de communauté et de mouvements via des pratiques locales. Elle fut l’un des moteurs des campagnes Justice4Mawda et #InMyName. Le livre de Rachida Niemand zal hier vannacht slapen a été publié aux éditions EPO.

Vous voulez en savoir plus sur l’intersectionnalité ? Kimberlé Crenshaw vous explique dans cette vidéo de 2 minutes.

Comment l’écoféminisme devient concret et ne se limite pas à un simple sujet à la mode ?

Philsan Osman : Il faut utiliser l’écoféminisme comme un cadre pour concevoir des pratiques qui apportent le changement que nous essayons de réaliser dans le monde. Pour moi, ce qui est vraiment important, ce sont les lieux où nous avons ces conversations, la manière dont nous les menons et la manière dont nous rendons les connaissances accessibles, parce qu’en fin de compte, tout ce dont nous parlons, ce sont des expériences codifiées vécues par des personnes marginalisées. Ces expériences codifiées des personnes marginalisées ne changent pas et ne prennent pas fin lorsque nous leur attribuons un terme et que nous en discutons dans les universités ou autour d’une table ronde. Elles changent lorsque nous nous rendons sur le terrain, que nous créons une communauté et que nous faisons de nos problèmes, des problèmes communs. Vos problèmes sont mes problèmes, mes problèmes sont vos problèmes. C’est quelque chose qu’il faut mettre en pratique.

Un avenir féministe et intersectionnel est-il possible dans le cadre du système actuel ?

Joanna Maycock : Le féminisme, ce n’est pas une bataille des sexes. Il ne s’agit donc pas d’avoir plus de femmes à des postes de direction au sein de structures de pouvoir toxiques. Il s’agit de transformer les systèmes et les structures qui détruisent la planète et nous rendent tous malheureux, franchement, sans raison. Il s’agit donc de repenser la prise de décision, la manière dont nous prenons les décisions et qui y participe, quelle voix sont écoutées. Qui prenons-nous au sérieux dans nos conversations, qui sommes-nous curieux d’entendre davantage ? Cela dit, il importe toujours de savoir qui détient le pouvoir dans nos systèmes toxiques. Il est toujours préférable que certaines personnes soient au pouvoir plutôt que d’autres. Il est toujours important qu’il y ait des femmes dans nos parlements, dans nos conseils d’administration et dans nos rôles de direction. Car il s’agit de veiller à ce que les différentes perspectives soient représentées. Il est toujours important d’augmenter le nombre de groupes sous-représentés dans la prise de décision et le pouvoir.

Comment s’assurer que les solutions proposées par différents mouvements intègrent le féminisme et ne soient pas préjudiciables pour les femmes par exemple ?

Philsan Osman : Si les mêmes questions sont toujours posées aux mêmes personnes, les réponses seront toujours les mêmes. Encore et encore. Il ne sera alors pas possible de construire un futur intersectionnel. Un futur qui tient compte du terrain et des personnes les plus marginalisées qui sont le plus affectées par le dérèglement climatique mais par bien d’autres problèmes aussi qui se renforcent l’un l’autre. Pour chaque conversation que nous avons, nous devons ouvrir les portes aux autres. On doit s’ouvrir aux particularités. Si nous sommes ici, c’est parce que de nombreuses personnes n’ont pas été prises en compte dans les discussions et des processus de réflexions en quête de solutions.

Joanna Maycock : Nous devons réfléchir à la manière de créer des espaces où l’on y entre avec curiosité, amour, et avec l’intention de collaborer à des objectifs communs et de trouver un terrain d’entente. Concentrons-nous vraiment sur l’objectif que nous voulons atteindre. Créer des espaces où des perspectives différentes peuvent être échangées et où nous pouvons apprendre les uns des autres. Souvent, cet objectif est placé à la fin de nos plans, mais il doit être placé au centre et tout le reste doit en découler.

Quel est le secret pour que différents mouvements travaillent ensemble ?

Pour répondre à cette question, Rachida Aziz prend l’exemple du projet In My name, dans lequel elle est impliquée. 

La première étape de collaboration dans ce projet a été de réunir “les premiers concernés” par la problématique et de définir comment ils voient leur lutte. Parallèlement à cela, nous avons mené une campagne auprès de toutes les institutions de la société civile afin de trouver du soutien. Ensuite, nous avons créé une plateforme réunissant “les premiers concernés” et les “concernés”, à savoir les personnes sans-papiers et toutes les organisations de la société civile concernées par la question de l’asile et de la migration. Certaines de ces organisations ne se parlaient pas encore entre elles avant cela. Enfin, nous avons créé un texte basé sur nos accords, nous nous sommes unis autour de cela, tout en s’assurant de montrer la multitude de soutiens pour ce récit mais sans forcer quiconque à se calquer à un format unique.

C’est donc en mettant au centre les premiers concernés par la violence qu’il faut commencer à réfléchir à toutes collaborations. Les institutions peuvent être inspirées par la base, elles peuvent se connecter à la base, elles peuvent se laisser embarquées par la base. La question devrait être de savoir comment les institutions peuvent mettre en œuvre les connaissances de la base en matière d’intersectionnalité et l’expérience locale de la base. Je pense qu’un bon début serait de créer un espace pour les premiers concernés, tout en leur donnant les moyens d’agir.

L’écoféminisme est un héritage mondial

Philsan Osman : L’écoféminisme est apparu partout dans le monde, en même temps. C’est un héritage mondial. Ce n’est pas quelque chose que la société occidentale peut s’approprier ou revendiquer. L’une des principales sources d’inspiration de la pensée écoféministe a été le mouvement Chipko, des femmes en Inde qui essayaient de prendre soin de leurs communautés. Elles ne pensaient même pas au mot écoféminisme. Elles se demandaient comment prendre soin de leurs communautés et comment prendre soin de la terre qui prenait soin de leurs communautés. La race blanche n’a pas le monopole de la connaissance, elle n’a pas le monopole de l’étymologie. Ces choses appartiennent à chacun d’entre nous. Les structures de la suprématie blanche ont créé toutes ces oppressions, mais nous devons honorer le travail accompli par les personnes de couleur et les indigènes.

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