Ces derniers jours, vous avez sans doute vu les images de ces milliers de personnes qui ont convergé dans le petit village de Lützerath, en Allemagne. Elles s’opposaient à l’exploitation d’une immense mine de charbon. Leur protestation non-violente devant les machines et les forces de police était une forme de désobéissance civile. Cet outil-clé de la militance fait l’objet de beaucoup d’écho médiatique récemment. On fait le point sur le sujet.

Greenpeace activists take part in the special « village walk » to Lützerath. © Bernd Lauter / Greenpeace

La désobéissance civile n’est pas un sujet facile. Les personnes qui se mettent délibérément dans l’illégalité ne font pas l’unanimité. Une critique que l’on entend souvent est que la désobéissance civile serait polarisante ou anti-démocratique. Certain·es vont jusqu’à la qualifier de totalitaire. Greenpeace a régulièrement mené des actions de désobéissance civile au cours des 50 dernières années (l’action de masse Code Rouge en octobre 2022 est un bon exemple récent). Nous sommes donc souvent confrontés à ces réserves. Pourquoi la désobéissance civile est-elle si importante ? Est-ce démocratique ? Quand est-ce que c’est permis ? Pourquoi est-elle non-violente ? S’agit-il d’une stratégie qui fonctionne ? Voici notre point de vue en 7 points.

Action Code Rouge, 08/10/2022 © Code Rouge / Johanna de Tessieres

1 Résister à l’injustice

La désobéissance civile signifie que vous choisissez d’enfreindre la loi. Vous ne le faites pas par intérêt personnel, mais parce que vous pensez que c’est votre devoir moral de le faire. La loi même peut être injuste ou vous pouvez choisir de vous opposer à une injustice. En s’asseyant à l’avant d’un bus, Rosa Parks a enfreint la loi. Ce faisant, elle s’attaquait à une profonde injustice à l’encontre des Noirs américains. Aujourd’hui, l’ambition politique nécessaire pour éviter une crise climatique catastrophique et une perte de la biodiversité est loin d’être suffisante, ce qui rend la désobéissance civile nécessaire et justifiée.

The Young Belgian Strings orchestra, under the direction of Dirk Van De Moortel, performs ‘On the nature of daylight’ by Max Richter at the Friche Josaphat, a 25 hectares biodiversity hotspot in the centre of Brussels that is threatened to be destroyed for housing and offices.

2 Dire simplement la vérité ne conduit pas au changement

Tout au long de l’histoire de nombreux mouvements sociaux, il a été démontré à maintes reprises que le simple fait de dénoncer une injustice ne suffit pas toujours. L’esclavage, l’oppression des femmes ou encore certaines pratiques destructrices de l’environnement n’ont pas disparu parce que ces actes et systèmes étaient moralement répréhensibles. Ils ont disparu parce que des actions de masse de désobéissance civile ont modifié le consensus social à leur sujet.

Aujourd’hui encore, la science affirme noir sur blanc que les émissions de CO2 doivent être réduites de manière drastique, mais les gouvernements n’osent pas prendre les mesures adéquates, comme par exemple encadrer et limiter l’industrie fossile.

Si nous vivions dans une société basée sur la logique et la justice morale, il n’y aurait pas besoin de désobéissance civile. Mais nous vivons dans une société où l’argent et le pouvoir déterminent la dynamique, et ceux-ci sont concentrés dans les mains de quelques personnes qui n’ont rien à gagner d’un changement systémique. 

3 La vérité doit souvent être criée pour être entendue

Les mouvements sociaux qui ont fait bouger les lignes sont ceux qui ont réussi à faire en sorte que les gens ne se contentent pas de comprendre l’injustice, mais qu’ils la ressentent réellement. Leurs actions parviennent à dénoncer l’injustice là où ça fait mal, le plus souvent en enfreignant des lois injustes de manière non-violente. Ils parviennent à influencer les mentalités d’une majorité de la population.

Ainsi, le changement ne se produit pas seulement en persuadant quelqu’un de manière rationnelle. Il faut aussi s’adresser au cœur. Les citoyen·nes doivent parvenir à s’identifier à l’objectif, au courage, à la créativité et à la persévérance des militant·es. Greta Thunberg en est un bel exemple. Une histoire authentique et inspirante peut changer l’équilibre des forces en présence et le statu quo, même si, sur le papier, la lutte est inégale

4 Non-violent

La désobéissance civile est par définition non-violente. Cela ne signifie pas que les actions sont amicales ou ne causent aucune perturbation, mais bien qu’aucune violence de n’importe quel type n’est utilisée. 

La non-violence permet aux actions de désobéissance civile de se dérouler dans le calme afin que l’attention se porte sur le cœur du problème soulevé et non sur le comportement des activistes. L’usage de la violence entraîne toujours davantage de violence.

5 Jusqu’où pouvons-nous aller pour être entendus ?

Il est très encourageant de voir que de plus en plus de personnes se mettent en action car l’urgence est grande. Les militant·es pour le climat ont de nombreuses raisons d’agir. Chaque activiste décidera en son âme et conscience où se situent ses limites personnelles et nous ne critiquerons donc jamais les actions d’autres groupes, tant que la violence n’est pas dirigée contre d’autres personnes ou contre d’autres êtres sensibles. C’est la ligne rouge que pose Greenpeace.

Par ailleurs, il est clair que les marches pour le climat à elles seules ne suffisent pas. Nous avons besoin d’une multitude d’actions et de voix – tant modérées que radicales – pour être entendus et avoir un véritable débat démocratique sur les problèmes et les solutions. 

6 Une démocratie saine fonctionne aussi en dehors du parlement

Le système actuel empêche de prendre des décisions capitales à long terme. Un·e responsable politique élu·e devrait investir son temps et son énergie en vue de 2040, mais il doit en même temps gagner la prochaine élection à court-terme, ce qui est difficilement compatible. D’où l’importance de disposer d’organisations de défense des droits humains, de mouvements environnementaux, de mouvements civiques et d’ONG solides pour mettre en place une opposition extra parlementaire. Greenpeace, en tant qu’organisation indépendante, peut dénoncer les injustices et apporter des connaissances scientifiques, afin d’exercer une influence qualitative. 

Cela ne passe pas uniquement par la désobéissance civile mais par différents niveaux, comme des campagnes d’information, des actions, des procédures judiciaires ou encore en influençant les responsables politiques. Les autorités belges ont ainsi été condamnées dans l’Affaire climat pour leur politique climatique négligente. Les juges ont estimé que la politique climatique belge est si peu rigoureuse qu’elle viole le devoir légal de vigilance et les droits humains. L’étape suivante consiste à faire appliquer des objectifs de réduction concrets par les tribunaux.

7 Large coalition

Une large coalition d’activistes climatiques maintiendra la pression sur tous les fronts possibles jusqu’à ce que les dirigeant·es politiques prennent les décisions structurelles nécessaires pour que la planète reste vivable pour tou·tes, aujourd’hui et pour les générations futures. Les actions de désobéissance civile peuvent faire évoluer nos manières de penser et d’agir. Elles ont le pouvoir de créer une prise de conscience plus large de l’importance et de l’urgence à faire autrement et ainsi déclencher des actions collectives encore plus fortes. La désobéissance civile reste notre meilleur moyen de faire bouger les choses.

Sources

1 Rex Weyler, greenpeace.org, Why Civil disobedience works. 2019.

2 Lowri Evans, greenpeace.org, Does peaceful protest work? 2021.

3De echte onredelijken? Regeringsleiders die verantwoordelijkheid voor ecologische crisis in schoenen van geëngageerde burgers schuiven”. De Morgen, 2022.

Je partage sur Facebook Je partage sur Twitter Je partage sur Whatsapp